La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du fait de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 19e chapitre, nous les écoutons échanger sur le rôle de l'État face à l'initiative privée.
Antoine
Passionnante ta vision de ce qu’il faut enseigner en économie. Mais il faut que tu m’expliques si tout cela permet d’atteindre le bien commun, sinon cela ne passera pas. Il y a une telle pente à remonter. Mais commençons par le rôle de l’État.
Auguste
J’ai quitté l’école il y a cinquante ans. On ne parlait pas d’économie. Dis-moi en deux mots ce qu’on t’a raconté et ce que tu en as retenu.
Antoine
Clairement que l’économie de marché est imparfaite et qu’il faut que l’État intervienne pour l’améliorer.
Auguste
En quoi ?
Antoine
D’abord la booster ! On l’a déjà dit à maintes reprises, de stimuler l’économie en augmentant la demande.
Auguste
Restons sur « stimuler l’économie » : plus la dépense publique est élevée, plus l’économie devrait croître. Tu vois bien que ce n’est pas le cas sur longue période. Quand tu regardes la performance des différents pays, ceux qui ont de grosses dépenses publiques croissent moins vite. On en a abondamment parlé.
Antoine
Es-tu contre toute intervention publique ?
Auguste
Pas du tout. Il faut une sphère régalienne qui assure le bon fonctionnement de la société et, dans le cas de l’économie, assure le respect de la liberté d’entreprendre. L’État n’est pas la société ; il est une partie de la société, il est, je dirais, au service de la société.
Antoine
La sphère publique au sens restreint a un coût qui varie suivant les pays entre 15 % et 25 % du PIB. Es-tu d’accord de payer un impôt pour cela ?
Auguste
Absolument. Assurer que l’initiative est protégée et que tout soit fait pour que les ressources humaines et financières soient fluides, tout cela a un coût ; c’est normal de payer. Il a un autre rôle très important : éviter les monopoles. Je suis tout à fait d’accord, on a besoin de gendarmes.
Antoine
Très bien. Tu ne crois pas à l’efficacité de la stimulation, mais tu reconnais un rôle de gendarme, notamment sur les concentrations. Je repose ma question : crois-tu qu’avec un tel système fondé sur l’initiative privée, on peut atteindre l’intérêt général ?
Auguste
Absolument.
Antoine
Peux-tu me le démontrer ?
Auguste
C’est ma parabole de la mayonnaise.
Antoine
Comment la fais-tu ? Cela m’interpelle.
Auguste
Je prends trois ingrédients qu’on n’aime pas en général. Le premier, c’est la concurrence.
Antoine
Je t’arrête, tu ne vas pas faire reposer une société sur un concept où le plus fort écrase le plus faible. Pour la majorité des gens, la concurrence, c’est la loi du plus fort.
Auguste
Tu ne vas pas aimer non plus le deuxième ingrédient : l’intérêt particulier.
Antoine
Ton cas s’aggrave. L’intérêt particulier, c’est l’égoïsme. On ne peut pas faire reposer une société sur l’égoïsme.
Auguste
Le troisième, c’est la fidélité. Je ne sais pas ce que tu vas me dire.
Antoine
La fidélité sonne mieux, mais on va te dire que c’est ringard et que ça évoque les chaînes. Mais je passe.
Auguste
Antoine, écoute-moi bien. Si tu mets les trois ensembles et si tu les touilles, tu vas réussir une magnifique mayonnaise. En effet, à partir du moment où les clients et les fournisseurs restent ensemble...
Antoine
Explique.
Auguste
Les entreprises qui se développent ne peuvent le faire que si elles ont des clients fidèles. Sinon, les équipes de vente passent leur temps à récupérer les clients perdus et n’ont pas de temps à passer sur la croissance. Les grandes sociétés sont caractérisées par une base solide de clientèle, c’est-à-dire de gens fidèles.
Antoine
Tu es en train de m’expliquer que les bonnes entreprises gardent leurs clients.
Auguste
Absolument, alors même qu’il y a beaucoup de concurrence, une concurrence qui permet de changer si on n’est pas content.
Antoine
Si le client est fidèle, c’est qu’il est content.
Auguste
Si l’entreprise garde son fournisseur, c’est qu’elle aussi est satisfaite. Réfléchis deux secondes : on a donc atteint une situation où le client et son fournisseur, qui sont des gens intelligents et conscients de leur intérêt, sont satisfaits.
Antoine
On atteint l’intérêt général.
Auguste
Je pousse un peu, c’est pour moi le bien commun.
Antoine
J’ai l’esprit d’escalier. Que penses-tu des idées de mission de l'entreprise qui fleurissent en ce moment ?
Auguste
Pourquoi pas ? C’est très bien, mais j’aime les choses simples. Quand les entreprises font bien leur travail et que les clients sont fidèles donc satisfaits, que chercher de plus ? Rendre ces clients heureux, c’est la mission de l’entreprise. Ce qui est très fort, c’est que c’est valable pour tout le monde : le restaurateur, le plombier comme la très grande entreprise. Atteindre le bien commun concerne tout le monde dans son travail de tous les jours.
Antoine
Pour toi, aller chercher des choses compliquées comme les missions, ce n’est pas absolument nécessaire.
Auguste
Il faut que les gens comprennent que l’économie de marché, après tout, ce n’est pas si mal. Entre nous, c’est pour cela que ça fait 5 000 ans qu’elle dure.
Antoine
Elle a fait depuis 50 ans sortir beaucoup de monde de l’extrême pauvreté.
Auguste
Ce qui est certain, c’est que quand on a voulu en sortir, je parle des expériences communistes, cela s’est vite cassé la figure et cela a causé des drames.
Elle n’est pas parfaite, nous ne le sommes pas, mais on n’a jusqu’ici pas trouvé mieux.
Antoine
Merci, je dois y aller. Très puissant ton histoire de mayonnaise, j’ai compris. Je te rappelle.
Fin du chapitre 19. La suite, au prochain épisode...
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