Rôle de l'État, bien commun et mayonnaise. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 19

Écrit par Xavier Fontanet

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du fait de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 19e chapitre, nous les écoutons échanger sur le rôle de l'État face à l'initiative privée.

 

Rôle de l'État, bien commun et mayonnaise

Antoine

Passionnante ta vision de ce qu’il faut enseigner en économie. Mais il faut que tu m’expliques si tout cela permet d’atteindre le bien commun, sinon cela ne passera pas. Il y a une telle pente à remonter. Mais commençons par le rôle de l’État.

Auguste

J’ai quitté l’école il y a cinquante ans. On ne parlait pas d’économie. Dis-moi en deux mots ce qu’on t’a raconté et ce que tu en as retenu.

Antoine

Clairement que l’économie de marché est imparfaite et qu’il faut que l’État intervienne pour l’améliorer.

Auguste

En quoi ?

Antoine

D’abord la booster ! On l’a déjà dit à maintes reprises, de stimuler l’économie en augmentant la demande.

Auguste

Restons sur « stimuler l’économie » : plus la dépense publique est élevée, plus l’économie devrait croître. Tu vois bien que ce n’est pas le cas sur longue période. Quand tu regardes la performance des différents pays, ceux qui ont de grosses dépenses publiques croissent moins vite. On en a abondamment parlé.

Antoine

Es-tu contre toute intervention publique ?

Auguste

Pas du tout. Il faut une sphère régalienne qui assure le bon fonctionnement de la société et, dans le cas de l’économie, assure le respect de la liberté d’entreprendre. L’État n’est pas la société ; il est une partie de la société, il est, je dirais, au service de la société.

Antoine

La sphère publique au sens restreint a un coût qui varie suivant les pays entre 15 % et 25 % du PIB. Es-tu d’accord de payer un impôt pour cela ?

Auguste

Absolument. Assurer que l’initiative est protégée et que tout soit fait pour que les ressources humaines et financières soient fluides, tout cela a un coût ; c’est normal de payer. Il a un autre rôle très important : éviter les monopoles. Je suis tout à fait d’accord, on a besoin de gendarmes.

Antoine

Très bien. Tu ne crois pas à l’efficacité de la stimulation, mais tu reconnais un rôle de gendarme, notamment sur les concentrations. Je repose ma question : crois-tu qu’avec un tel système fondé sur l’initiative privée, on peut atteindre l’intérêt général ?

Auguste

Absolument.

Antoine

Peux-tu me le démontrer ?

Auguste

C’est ma parabole de la mayonnaise.

Antoine

Comment la fais-tu ? Cela m’interpelle.

Auguste

Je prends trois ingrédients qu’on n’aime pas en général. Le premier, c’est la concurrence.

Antoine

Je t’arrête, tu ne vas pas faire reposer une société sur un concept où le plus fort écrase le plus faible. Pour la majorité des gens, la concurrence, c’est la loi du plus fort.

Auguste

Tu ne vas pas aimer non plus le deuxième ingrédient : l’intérêt particulier.

Antoine

Ton cas s’aggrave. L’intérêt particulier, c’est l’égoïsme. On ne peut pas faire reposer une société sur l’égoïsme.

Auguste

Le troisième, c’est la fidélité. Je ne sais pas ce que tu vas me dire.

Antoine

La fidélité sonne mieux, mais on va te dire que c’est ringard et que ça évoque les chaînes. Mais je passe.

Auguste

Antoine, écoute-moi bien. Si tu mets les trois ensembles et si tu les touilles, tu vas réussir une magnifique mayonnaise. En effet, à partir du moment où les clients et les fournisseurs restent ensemble...

Antoine

Explique.

Auguste

Les entreprises qui se développent ne peuvent le faire que si elles ont des clients fidèles. Sinon, les équipes de vente passent leur temps à récupérer les clients perdus et n’ont pas de temps à passer sur la croissance. Les grandes sociétés sont caractérisées par une base solide de clientèle, c’est-à-dire de gens fidèles.

Antoine

Tu es en train de m’expliquer que les bonnes entreprises gardent leurs clients.

Auguste

Absolument, alors même qu’il y a beaucoup de concurrence, une concurrence qui permet de changer si on n’est pas content.

Antoine

Si le client est fidèle, c’est qu’il est content.

Auguste

Si l’entreprise garde son fournisseur, c’est qu’elle aussi est satisfaite. Réfléchis deux secondes : on a donc atteint une situation où le client et son fournisseur, qui sont des gens intelligents et conscients de leur intérêt, sont satisfaits.

Antoine

On atteint l’intérêt général.

Auguste

Je pousse un peu, c’est pour moi le bien commun.

Antoine

J’ai l’esprit d’escalier. Que penses-tu des idées de mission de l'entreprise qui fleurissent en ce moment ?

Auguste

Pourquoi pas ? C’est très bien, mais j’aime les choses simples. Quand les entreprises font bien leur travail et que les clients sont fidèles donc satisfaits, que chercher de plus ? Rendre ces clients heureux, c’est la mission de l’entreprise. Ce qui est très fort, c’est que c’est valable pour tout le monde : le restaurateur, le plombier comme la très grande entreprise. Atteindre le bien commun concerne tout le monde dans son travail de tous les jours.

Antoine

Pour toi, aller chercher des choses compliquées comme les missions, ce n’est pas absolument nécessaire.

Auguste

Il faut que les gens comprennent que l’économie de marché, après tout, ce n’est pas si mal. Entre nous, c’est pour cela que ça fait 5 000 ans qu’elle dure.

Antoine

Elle a fait depuis 50 ans sortir beaucoup de monde de l’extrême pauvreté.

Auguste

Ce qui est certain, c’est que quand on a voulu en sortir, je parle des expériences communistes, cela s’est vite cassé la figure et cela a causé des drames.

Elle n’est pas parfaite, nous ne le sommes pas, mais on n’a jusqu’ici pas trouvé mieux.

Antoine

Merci, je dois y aller. Très puissant ton histoire de mayonnaise, j’ai compris. Je te rappelle.

 

Fin du chapitre 19. La suite, au prochain épisode...

Publié le mercredi, 26 février 2025

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