La transformation énergétique. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 17

Écrit par Xavier Fontanet

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du fait de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 17e chapitre, nous les écoutons échanger sur la transformation énergétique.

 

La transformation énergétique

Antoine
Grand-père, as-tu un peu de temps pour discuter de développement durable et d’écologie ? Je dois inaugurer un parc d’éoliennes, j’aurais aimé étoffer mon discours. L’énergie, ce n’est pas trop le sujet de votre génération, mais nous, cela nous obsède.

Auguste
Détrompe-toi : on a connu une crise énergétique terrible à notre époque, la crise de 1974, un quadruplement du prix du pétrole. On ne savait pas où on allait. Une fois cette crise surmontée, le rapport Meadows sur les limites de la croissance est sorti : nous avons réalisé que nous avions utilisé en 250 ans des matières premières qui avaient mis 250 millions d’années à se constituer, comme le pétrole.

Antoine
C’est un vrai sujet au niveau mondial, mais l’Europe est mal dotée. Elle n’a ni ressource minière, ni ressource pétrolière : elle n’a pas d’autre choix que de devenir le leader des énergies nouvelles et redevenir leader du nucléaire en n’oubliant pas que sans énergie il n’y a pas d’économie.

Auguste
Les problèmes sont des opportunités. Je pense qu’on peut vraiment construire à partir d’eux de grands challenges au niveau européen.

Antoine
Reconnais que le réchauffement climatique n’était pas votre sujet à votre époque.

Auguste
Je reconnais que le grand débat, au temps du Général, portait sur la défense et l’autonomie énergétique.

Antoine
Ah oui ?

Auguste
L’énorme apport de de Gaulle fut le choix du nucléaire pour les domaines militaire et civil. Un choix clair et net grâce auquel nous sommes parmi les pays développés un de ceux qui a la plus petite émission de CO2 au monde, avec 4,5 tonnes par habitant. Nous serions encore mieux placés si les socialistes n’avaient pas cassé toute l’avance que la France avait prise dans le domaine. Les erreurs ont commencé avec Jospin qui a arrêté tout le projet de surgénérateur. C’est ensuite Martine Aubry qui a promis de casser le programme nucléaire pour acheter les voix des écologistes.

Antoine
Tu tapes un peu fort, non ?

Auguste
Antoine, pas du tout ! Il faut oser nommer les choses. Il y a eu aussi la construction très discutable du marché européen de l’électricité.

Antoine
Tu as dit discutable ?

Auguste
Les Européens ont voulu suivre ce que les Américains avaient fait dans le téléphone. Ils ont remis en cause le concept de filière verticale. L’idée était d’introduire des acteurs non intégrés en production comme en distribution. EDF a été le premier visé car il était verticalement intégré. Certains nouveaux acteurs sont effectivement rentrés en production et en distribution mais vont-ils durer ? On n’a pas réalisé à quel point il est difficile d’intégrer des énergies fluctuantes dans le système. L’effet sur les prix n’est pas évident parce qu’il faut variabiliser les productions des centrales à gaz et nucléaires et cela les fatigue. Les Allemands sont restés très charbon dans leur production d’électricité. Tout cela est un foutoir à mes yeux, mais je suis peut-être mal renseigné. Résultat, côté français, EDF capitalisait 90 milliards d’euros en 2005, avant qu’on sorte l’entreprise de la bourse, aujourd’hui 50 milliards. Si on l’avait laissée libre d’agir, EDF vaudrait au moins 500 milliards aujourd’hui et on aurait des moyens colossaux pour investir dans la transition, on verrait les choses très sereinement. J’ai mal à la France.

Antoine
Ça va, grand-père, calme-toi !

Auguste
Malgré ces bêtises, tout n’est pas perdu ! On peut remettre les choses sur pied et reconnais que c’est grâce à ce choix que nous avons au monde, une des productions les plus basses en termes de CO2 par tête.

Antoine
Tu as l’air d’avoir une idée. Dis-m’en davantage.

Auguste
L’idée, c’est tout simple, c’est la fée électricité ! On doit beaucoup à tous ces génies, que sont Franklin, Edison, Faraday et Tesla pour l’avoir inventée. L’électricité se développe dans le monde plus vite que l’économie. D’après ce que j’ai pu lire, il y a 25 ans c’était 10 % de la production mondiale d’énergie, il y a cinq ans c’était plus de 20 %, on parle donc d’une croissance significative. Si elle poursuit son gain de part de marché, l’électricité peut réduire considérablement les émissions de CO2.

Antoine
Comment ?

Auguste
Dès qu’elle prend des parts de marché dans l’énergie, elle remplace des moteurs thermiques utilisant du pétrole ou des chaudières au gaz et au charbon.

Antoine
L’électricité est encore produite en partie à base de charbon et de gaz.

Auguste
Bien sûr, c’est l’erreur allemande. Il faut produire l’électricité avec du nucléaire et des énergies nouvelles (solaire, éolien et méthanisation).

Antoine
Tu simplifies, mais cela se finance ? Je vois des rapports sortant des chiffres terrifiants sur l’argent à mettre sur la table.

Auguste
J’aime simplifier les choses et voir l’essentiel. Permets à ton grand-père de défendre l’économie de marché : les pétroliers et les mineurs ne sont pas des idiots, ils savent très bien que leur métier de base va décroître, les pétroliers parce que la voiture électrique se développe et les mineurs parce que le jour viendra où on n’utilisera plus de centrales à charbon. Ils ont un problème stratégique terrible, mais cette décroissance va leur permettre de dégager des cash flows nets considérables qu’ils peuvent investir dans des métiers liés à l’énergie.

Antoine
Lesquels ?

Auguste
Les mineurs dans les mines de nickel, de lithium et de cobalt pour les batteries. Les pétroliers vont s’intéresser au solaire, à l’éolien et pourquoi pas au nucléaire, voire même à la distribution d’électricité. Toute cette transformation peut se passer plus facilement qu’on le croit si on laisse les acteurs agir.

Antoine
Tu n’es pas un peu optimiste ? Les pétroliers continuent à investir dans le gaz et le pétrole.

Auguste
Les pétroliers ne veulent pas que le cours de la bourse s’écroule. Ils expliquent que le pétrole et le gaz vont continuer. Mais jette un coup d’œil sur leurs investissements, c’est très clair, ils bougent en ce moment. Total investit dans l’éolien et la méthanisation, Exxon dans les mines de nickel.

Antoine
Tu as utilisé le mot de cash-flow net, je ne suis pas sûr de comprendre. Peux-tu préciser ?

Auguste
Tu vois l’importance des cours d’économie ! On n’explique pas dans les écoles les liens existants entre bilan et compte d’exploitation, il faut remédier à tout cela. C’est un énorme handicap de ne pas être bien formé à l’économie. Le cash-flow net correspond aux liquidités que génère une entreprise quand elle a payé ses investissements. Une entreprise qui croit à des résultats inférieurs à ses investissements a un cash-flow net négatif. À l’inverse, une entreprise ou une ligne de produit qui ne croit pas n’a pas d’investissements et donc génère de l’argent. Si elle décroît, elle vend ses actifs et génère encore plus d’argent que ses profits. C’est simple, tu suis ?

Antoine
Oui.

Antoine
Si je te comprends bien, pour toi, la nouvelle donne écologique ne remet pas en cause l’économie.

Auguste
Pas du tout, au contraire, c’est un cas d’école de destruction créatrice expliquée par Schumpeter : les cash-flows nets des secteurs en décroissance vont financer ceux qui ont besoin d’investir. Le problème est qu’EDF a été épuisée par les politiques de prix débiles qu’on lui a imposées pour protéger les consommateurs. EDF est endettée, il faut impérativement laisser l’entreprise mettre ses prix à un niveau correct lui permettant de se financer.

Antoine
Les citoyens vont hurler !

Auguste
Bien sûr, mais il faut leur expliquer que c’est le prix à payer pour assurer la transformation écologique. C’est là qu’il faut faire de la pédagogie et expliquer que l’énergie a un coût, ce n’est pas gratuit. On la paye d’ailleurs beaucoup moins cher que les Allemands depuis trente ans grâce au programme nucléaire, ce que les écologistes se sont bien gardés d’expliquer. En tous cas, ce n’est pas en fustigeant les pétroliers et les mineurs, comme on le fait, qu’on va faire avancer les choses.

Antoine
Excuse-moi de revenir sur la question, cela m’obsède. Réexplique-moi plus en détail avec des chiffres concrets. Comment vois-tu le marché de l’énergie évoluer ?

Auguste
D’accord, mais on plonge dans les chiffres, on ne peut pas faire sans. Pour commencer, je reviens sur les 4,5 tonnes de CO2 par habitant, chiffre comparé aux Chinois avec leurs 25 tonnes ou aux Russes, aux Allemands et aux Américains et leurs 15 tonnes.

Antoine
Redis-moi ce qui fait qu’on est si bas ?

Auguste
C’est la combinaison de deux facteurs : la part de l’électricité dans l’énergie consommée en France et la part du nucléaire dans la production d’électricité.

Antoine
D’où viennent tes chiffres ?

Auguste
Je m’appuie sur des données que j’ai notées à la lecture de mes quotidiens au fil du temps ; cela devrait être vérifié mais je ne pense pas trop me tromper. Il y a quatre grands domaines utilisant de l’énergie : le transport, l’industrie (dont la production d’électricité), le logement (j’intègre le tertiaire) et l’agriculture. Les trois premiers consomment 500 TWh, l’agriculture 100, le total c’est 1600.

Antoine
Qu’est-ce qu’un TWh ?

Auguste
On ne t’a pas appris cela ? C’est une mesure qui permet de réfléchir à l’échelle d’un pays. C’est un milliard de kWh. Chaque Français consomme 25 000 kWh par an, à 20 centimes ça fait 5 000 euros par an.

Antoine
Ce n’est pas une petite somme.

Auguste
On consomme plus d’énergie qu’on ne croit, il n’y a pas seulement celle qu’on voit sur la facture d’électricité, il y a aussi celle qu’on utilise quand on se déplace et toute celle qui est contenue dans les produits qu’on achète. À mon avis, l’énergie est le plus gros métier du monde, c’est beaucoup plus gros que l’automobile.

Auguste
Les 4,5 tonnes par habitant, cela fait pour 68 millions de Français 310 millions de tonnes au total. D’accord ?

Antoine
Comment cela est-il réparti ?

Auguste
Le gros pollueur est le transport, près de 120 MMT. Les trois autres secteurs, c’est à grands coups de serpe 60 MMT. Cela boucle. 120 plus 3 fois 60, ça fait à peu près les 310.

Antoine
Pourquoi une telle différence entre transport d’un côté, énergie et bâtiment de l’autre ?

Auguste
L’électricité est très introduite dans l’industrie et le bâtiment. Par contre, la part de l’électricité est très faible dans le transport avec 2 à 5 % suivant les sources ; il n’y a que dans le train où elle a pénétré alors que les gros consommateurs sont la voiture, les camions et les transports aériens et maritimes. Dans les autres secteurs, la part de l’électricité est à peu près de 40 %, c’est donc beaucoup plus élevé. Les choses sont simplissimes : à même énergie dépensée, cela divise les émissions du pays par presque deux !

Antoine
À combien s’élève la production d’EDF ?

Auguste
En ordre de grandeur, c’est 450 TWh.

Antoine
Sur les 1600, l’électricité représente donc 28 % de l’énergie consommée en France.

Auguste
Tout à fait. Connais-tu au moins les écarts d’émission entre les formes de production d’électricité ?

Antoine
Non, dis-moi.

Auguste
Une centrale au charbon émet cent fois plus de CO2 au térawattheure qu’une centrale nucléaire ou une éolienne.

Antoine
Je ne pensais pas que les écarts étaient de cette importance. Si la production passe au nucléaire et aux énergies nouvelles, elle n’émettra pratiquement plus de CO2. Je commence à entrevoir ta stratégie.

Auguste
Revenons à l’origine de la discussion, ce qui va se passer est prévisible. Les voitures vont devenir électriques, cela va prendre du temps et n’ira pas à 100 %, mais c’est la tendance. Par ailleurs, on va arrêter de faire des centrales à gaz et à charbon. Tu vois ? 1) Si l’électricité passe à 60 % du total de l’énergie, 2) si la production de l’électricité est nucléaire ou énergies nouvelles, 3) si on passe aux engrais naturels qui permettent de fixer plus de CO2 dans le sol comme je te l’ai expliqué lors de notre dernière discussion, on peut très bien viser une division par deux des émissions et être neutre en émissions au niveau du pays si on passe aux engrais naturels.

Antoine
Ce serait génial, mais le problème, ce sont les investissements à faire dans la production d’électricité et sa distribution. Comment crois-tu que cela se finance ? Il va falloir des impôts gigantesques !

Auguste
Pas du tout, cela peut se financer tout seul si les gouvernements ne manipulent pas les prix et les impôts comme ils le font. Si on raisonne Europe, ce sont des ordres de grandeur qu’il faut peaufiner. L’Europe a quatre pétroliers : Total, Shell, BP et ENI qui ont des actifs de 700 milliards. Les trois grands groupes miniers Glencore, BHP et Rio Tinto ont des actifs de l’ordre de 400 milliards. Les actifs des électriciens EDF, RWE, EON, Iberdrola, Edison c’est 700 milliards.

Antoine
Précise ce que tu entends par actifs.

Auguste
Ce sont les immobilisations nettes et les fonds de roulement nécessaires à la production et à la distribution de l’électricité. Il y a plus d’actifs chez les pétroliers et les mineurs réunis que chez les électriciens donc la montée de l’électrique ne devrait pas poser de trop gros problèmes de financement.

Antoine
C’est un peu fort pour moi.

Auguste
Je te donne les chiffres : les actifs des mineurs et des pétroliers sont de l’ordre de 1100 milliards, disons qu’ils ont une rentabilité de 7 % (je suis conservateur) et qu’ils décroissent de 3 % par an avec une stratégie où on pousse l’électrique, c’est chaque année un flux net de presque 120 milliards. En 15 ans cela fera environ 1800 milliards et permettra de tripler le parc électrique.

Antoine
Effectivement, avec toi tout a l’air simple.

Auguste
Suis les cours de finance de BFM Stratégie, tu verras, le mécanisme des flux de liquidités est très bien expliqué. Il y a un vrai problème. Pour que cela fonctionne, il faut impérativement laisser les prix de marché de l’électricité se rééquilibrer pour que les compagnies électriques soient normalement rentables.

Antoine
Tu es en train de me dire qu’il ne faut pas que le gouvernement passe son temps à contraindre les tarifs de l’électricité pour éviter que les consommateurs ne crient.

Auguste
La conversion demande des efforts, il faudra rogner sur ce qui est moins important.

Antoine
C’est à nous d’expliquer, pas facile !

Auguste
Il faudra que tu expliques que les résultats des électriciens sont normaux. Il ne faut pas que l’on fustige et surtaxe les résultats des énergéticiens qui sont très élevés parce que leur marché est énorme et que tout naturellement les capitaux engagés pour le servir sont colossaux.

Antoine
Il faut des cours d’économie aux députés.

Auguste
Il faudra leur faire des petits cours de finance et leur apprendre à raisonner en rentabilité sur capitaux et pas seulement en rentabilité sur vente. Une autre idée que je te donne, ce sera de laisser se faire des joint-ventures entre électriciens, pétroliers et mineurs. À mon avis, si on est intelligents et si on laisse le temps faire son œuvre, le financement peut se faire sans problème.

Antoine
Je retiens une idée forte de tout ce que tu me dis : on peut arriver à la neutralité avec une stratégie intégrant une stratégie agricole ambitieuse. Une bonne pédagogie au public et aux députés est incontournable.

Auguste
Tout à fait possible !

Antoine
Formidable, grand-père, je réfléchis, laisse-moi digérer et je reviens vers toi, un immense merci !

 

Fin du chapitre 17. La suite, au prochain épisode...

Publié le mardi, 07 janvier 2025

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