Antoine |
Grand-père, ce qui m’a vraiment frappé dans tes descriptions des réformes allemandes et canadiennes , pour prendre des gens proches de nous, c’est que les dirigeants Gerhard Schröder et Jean Chrétien sont partis de la dette.
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Auguste |
Eh oui, une dette excessive, c’est une perte d’indépendance ; un déficit public, ce n’est pas une situation tenable, c’est cela que tous les citoyens doivent comprendre. Les dettes publiques s’approchaient du PIB, c’est-à-dire qu’elles étaient plus du double des recettes publiques annuelles (!). Ces dirigeants ont expliqué que ce n’était pas acceptable. Ils ont réussi à être crédibles auprès des populations.
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Antoine |
Tu te rends compte du travail qu’il y a à faire ici avec l'image de l'État-Providence ancrée ici dans la tête des gens. Il faut torde le cou à cette idée funeste que nous devons à Jacques Chirac et que les socialistes ont évidemment embrassée. (Entre nous, l’Église aurait dû, elle aussi, crier sur l’utilisation impropre du mot Providence).
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Auguste |
La remontée de la pente sera d’autant plus dure que les intellectuels keynésiens, sont partout dans les médias. Ils passent leur temps à expliquer que le marché est imparfait et que les dépenses publiques sont la solution. Ils donnent aux politiques des raisons intellectuelles pour justifier les dépenses, fussent-elles excessives.
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Antoine |
Je reviens sur l’excès de dépenses …que ferais-tu pour faire passer l’idée qu’il faut les baisser ?
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Auguste |
On va vers une dégradation de la dette française et les taux d’intérêts vont monter. Reprend mes calculs sur les frais financiers par ménage sur la seule dette publique. A mon avis on va arriver très vite à 750 euros par ménage et par mois. Ça marquera les esprits, c’est comme cela que s’y est pris Roger Douglas en Nouvelle-Zélande.
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Antoine |
750 euros par mois ça me semble un peu gros.
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Auguste |
Fais les calculs toi-même : 3 500 milliards de dette, 5% de taux d’intérêt et 20 millions de ménages tu vas voir.
Une autre idée me vient, raconte ou fais raconter ce qui s’est passé en Argentine quand ils ont eu la crise : les hôpitaux ne pouvaient plus acheter les médicaments, on a commencé à avoir des morts ; les retraites et les salaires des fonctionnaires ont baissé de 30%, hors policiers et militaires. J’avais une filiale en Argentine, les gens étaient lessivés. Il faut l'avoir vu !
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Antoine |
L’autre facteur qui me frappe c’est que les dirigeants ont fait référence à l’extérieur et expliqué que dans un monde concurrentiel il faut être compétitif. Ici en France on ne parle que d’inégalité entre les Français.
La clé de la réforme dans les trois pays Allemagne, Canada, Nouvelle-Zélande, cela a été la recherche de la compétitivité globale (privée et publique) ; ici c’est toujours une sorte de lutte des classes, on veut taper les « riches ».
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Auguste |
Tu as mis le doigt sur un point absolument fondamental.
Ici en France, on considère que la création de valeur est une donnée et que la seule discussion, c’est comment la répartir.
Dans les pays cités, les dirigeants ont fait comprendre aux populations que le pouvoir d’achat est d’abord obtenu par la compétitivité de l’économie et qu’une fois la valeur créée on peut se la répartir mais, dans un deuxième temps.
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Antoine |
Pour toi c’est LE sujet.
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Auguste |
Il y a deux approches. La première c’est celle de pays qui pensent que la croissance est la clé et que, même si elle est porteuse d’inégalités, elle profite à tout le monde. L’autre approche, c’est de mettre en place des systèmes de répartition ; dans les faits, cette approche freine la croissance . Quand on regarde sur le long terme, on voit que c'est la première approche qui est la bonne, cela saute aux yeux. Rappelle-toi notre première discussion, le smic à Genève est à 4 000 euros contre 1 400 en France. Un écart d’un à trois s’est creusé en 50 ans ! Fais faire l’étude plus précisément mais le résultat est là, et va voir toi-même pour vérifier de tes yeux.
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Antoine |
Lequel des dirigeants a été le plus clair sur la compétitivité ?
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Auguste |
Incontestablement Jean Chrétien au Canada, il a fait passer deux messages : d’abord ce sont les entreprises qui créent les emplois, pas l’État. Ensuite, il faut un État svelte pour ne pas peser par des impôts excessifs sur les entreprises ; si l’État est trop lourd il va les gêner, c’est l’image du jockey obèse. Dans un environnement mondial, l’État, quand il est trop développé freine les entreprises avec des impôts excessifs et les normes qu’il crée naturellement.
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Antoine |
En France dès que l’on parle de réduire les dépenses, on parle de rigueur.
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Auguste |
Tout le talent de Jean Chrétien a été d’expliquer qu’il fallait un régime sportif pour l’État.
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Antoine |
Sportif ! L’importance de la communication. Le point clé est d’expliquer que ce sont les entreprises qui créent les jobs. Qui l’a le mieux expliqué ?
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Auguste |
Les Allemands font le lien entre emploi et santé de l’entreprise avec la fameuse phrase de Helmut Schmidt : « Le profit d’aujourd’hui est l’investissement de demain et l’emploi d’après demain. » L’investissement est ce qui permet la croissance, donc la compétitivité, l’emploi et le pouvoir d’achat.
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Antoine |
En France le profit n’évoque pas l’investissement, il évoque l’idée du profiteur qui prend son dividende.
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Auguste |
Eh oui, les Français ne comprennent pas bien comment fonctionnent en fait les entreprises. Un des points les plus important, c’est d’expliquer que les jobs, ce sont les entreprises qui les créent. En Allemagne, le patron c’est l’ "Arbeit Geber", celui qui donne le travail. Voilà un autre axe de communication.
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Antoine |
Autre chose à retenir des Allemands ?
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Auguste |
Oui en Allemagne, c’est le concept de « solidarité exigeante » qui a été mis en avant, c’est magnifique. Cela allie responsabilité et générosité. On aide les gens bien sûr, la solidarité étant la base de la société, mais on doit être respectueux de l’argent qu’on reçoit ; la dignité du récipiendaire, c’est de respecter l’argent venant de la communauté. Rappelle-toi les réformes Hartz. Le système social est le cœur de la société, mais ceux qui reçoivent l’aide doivent faire de leur mieux pour que celle-ci soit bien utilisée.
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Antoine |
Exemple ?
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Auguste |
Les chômeurs doivent accepter les offres qui leur sont faites : « Un emploi pas tout à fait satisfaisant vaut mieux que l’horreur du chômage, même bien payé à la maison ».
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Antoine |
Phrase magnifique, tout est dit ! Pas permis de chercher à profiter du système. Faire comprendre que la situation financière du pays demande de baisser les coûts de l’État et de changer les comportements, expliquer que le salut viendra de la compétitivité des entreprises, que celle-ci passe par la sveltesse de l’État et que la solidarité n’exclue pas l’exigence.
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Auguste |
Antoine c’est bien résumé !
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Antoine |
Je médite, c’est très riche ; on reparle de tout cela je dois filer ! Grand père, Merci !
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