Le budget. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 10

Écrit par Xavier Fontanet - Membre de l'Institut des Solutions
Xavier Fontanet © D.R.

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du faut de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 10e chapitre, nous les écoutons échanger autour du budget, de l'inévitable baisse des dépenses publiques et de la relance de notre économie.

Le budget 

Antoine

Grand-père avec tout ce qui se passe en ce moment, j’ai besoin de discuter avec toi. J’aimerais qu’on se concentre aujourd’hui sur les principes sous-tendant le budget.

Auguste

Tout à fait d’accord, tu sais que je suis inquiet de la situation financière du pays.

J’ai passé toute ma vie à gérer mon entreprise, à baisser ses coûts et garder mon endettement dans des fourchettes raisonnables. La France à une dette beaucoup trop élevée et son déficit ne cesse d’augmenter…

Si un clash avec les banquiers survenait, sais-tu ce que représenterait la charge mensuelle ramenée aux ménages français ?

Antoine

Dis-moi.

Auguste

420 euros par mois !

Antoine

Pas possible !

Auguste

Prends ta calculatrice et fais les calculs toi-même : 3 000 milliards de dette publique, à 5%, divisés par 30 millions de ménages et 12 mois ça fait 420 euros !

Antoine

Terrible, penses-tu qu’on risque un défaut de paiement ?

Auguste

Le problème avec les banquiers c’est que lorsqu’ils perdent confiance, ils ne préviennent pas et font bloc. Je ne voudrais pas que notre pays connaisse ce qui s’est passé en Argentine en 2000 ou plus récemment en Grèce.

Antoine.

D’accord, il faut réduire drastiquement les déficits. Peux-tu me donner ton avis sur l’arbitrage : monter les impôts ou baisser les dépenses ?

Auguste

Mon avis est clair, pas d’autres alternatives que la baisse des dépenses.

Antoine

Peux-tu m’expliquer pourquoi ?

Auguste

Je vais essayer de le faire en termes très simples avec les mots que j’utilisais quand je disais à mes employés qu’il fallait serrer les boulons.

Antoine

C’est exactement ce que je veux.

Auguste

Un excès de dépenses publiques et sociales se retrouve immédiatement dans les prix de revient des entreprises. Afin que tu comprennes mieux de quoi il s’agit, en France, le coût complet d’un salarié, compte tenu des charges, est le double du salaire, alors que dans les autres pays d’Europe, il est de 50 %.

Antoine
Et alors ?

Auguste

Suppose que les salaires représentent 30 % du coût, l’entreprise française subit une pénalité de 10 % par le seul jeu des charges sociales.

Antoine

Bien sûr, mais ça c’est le reflet de notre système social qui est très en avance sur le monde entier et dont nous pouvons être fiers.

Auguste

Évidemment ! Mais il faut que ce soit tenable.

Antoine


Pourquoi ce n’est pas tenable ?

Auguste

La dette dérive depuis 50 ans, et ça s’accélère avec des déficits qui croissent de plus en plus vite…

Antoine

Je vois ce que tu veux dire.

Auguste

Je continue, car il y a d’autres surcoûts portés par les entreprises :
- Les impôts de production qui sont le double de ce qu’on voit ailleurs en Europe,
- Les impôts sur le bénéfice, qui eux aussi, sont plus élevés, même si on les a récemment baissés. Les impôts sur les bénéfices supérieurs, il faut le dire, ce sont des capacités d’investissement réduites pour les entreprises et à terme des entreprises de taille plus réduite

Antoine

C’est comme cela que tu expliques la désindustrialisation ?

Auguste.

Évidemment ! Regarde, la désindustrialisation commence très exactement au moment où les dépenses publiques se sont mises à grimper, au milieu des années 1970. Nous détenons aujourd’hui le record mondial des dépenses publiques avec 58% du PIB, donc nous sommes donc un des pays, sinon le pays, qui désavantage le plus son industrie. Dis-toi bien que l’industrie a chuté de 25% à 10% du PIB.

Antoine


J’ai l’esprit d’escalier, même chose pour l’agriculture ?

Auguste
L’agriculture ? Je la considère comme de l’industrie. C’est lourd en capital et les produits circulent dans le monde entier. Elle a chuté, elle aussi, sur la même période de 7% à 1,5%. En Nouvelle-Zélande, pour te donner une idée, l’agroalimentaire c’est 14 % du PIB et ça représente 60% des exportations !

Antoine,

D’accord, mais les services ont pris le relais et certains industriels ont expliqué qu’on allait vers des pays sans usine.

Auguste

Je ne suis absolument pas d’accord avec cette vision, et cela n’a pas arrangé les choses coté déficit public et dette. C’est une jolie idée qui a été lancée et qui évite de se poser les bonnes questions ! La chute des activités exportatrices a provoqué un déficit de la balance commerciale qui pèse sur les réserves, réduit la base fiscale, crée des déficits publics que l’on comble par la dette qui arrive aujourd’hui aux limites du supportable.

Antoine

Mais au moins les dépenses publiques créent de l’emploi (les ronds-points, par exemple) et viennent compenser ce défaut de l’économie concurrentielle !

Auguste.

Il y en a 50 000 ! Penses-tu sérieusement que tous sont utiles ? C’est un coût de 25 milliards et c’est de la dette supplémentaire, cela ne peut plus durer !

Antoine

Comment cela se passe-t-il ailleurs ?

Auguste

Il faut avoir compris le fonctionnement de l’entreprise pour appuyer les politiques de baisse de la dépense publique. Celui qui a le mieux expliqué les choses à ses compatriotes c’est Helmut Schmidt, le Chancelier allemand, en 1974. Il a eu une phrase géniale : « les profits d’aujourd’hui, c’est l’investissement de demain et l’emploi d’après-demain ». Les médias ont relayé la formule et les Allemands se la sont appropriée.

Antoine

Ce message réconcilie le capital et le travail et change le rapport que les salariés ont avec l’entreprise.

Auguste

Eh oui, Le patron, en allemand, se dit arbeit geber, c’est-à-dire « celui qui donne du travail ».

Antoine

Pourquoi les Français ne font-ils pas le lien ?

Auguste

Les Français sont intelligents mais on leur a très mal expliqué les choses et cela commence dès l’école.

Antoine

C’est vrai qu’à l’école on parle beaucoup des limites de l’économie de marché, les idées marxistes sont abondamment développées mais comme on ne raconte pas beaucoup d’autre chose, si ce n’est les descriptions de Milton Friedman disant que « l’entreprise n’a pas d’autre but que de faire du profit ». Cela laisse des traces dans la tête de adultes. Le capital, pour beaucoup, reste l’ennemi du travail et l’entreprise est son complice.

Auguste.

Tu as tout à fait raison, J’ai regardé les cours qui reprennent les idées de Marx. On y explique que le profit, c’est le résultat de l’exploitation des employés et de la manipulation des clients : ça ne donne pas une image très engageante de l’entreprise…

Je pense à ta remarque sur les ronds-points, on explique aussi que l’État est là pour compenser les imperfections du marché par des politiques de création d’emplois.

Antoine

C’est effectivement cela, on explique qu’en dépensant, il accroît la demande et provoque des embauches. Ce sont les idées de Keynes.

Auguste.

Le multiplicateur de Keynes, cela marche à court terme et en économie fermée, mais pas sur le long terme en économie ouverte. En utilisant mal ce concept de multiplicateur, la France est devenue, dans les pays développés, le pays qui a les plus fortes dépenses publiques et la plus faible croissance sur 50 ans. C’est ce que je t’ai expliqué dans notre première conversation.

Antoine
Que dirais-tu ?

Auguste

Pour expliquer ce qu’est l’entreprise et l’économie de marché, il faut revenir à la base : une entreprise n’existe que parce qu’elle rend un service, à ce point utile, qu’un client accepte librement d’y consacrer son argent durement gagné !

Antoine `

Pour toi, la base, c’est donc l’échange.

Auguste

Évidemment ! Et cet échange, quand on y réfléchit bien, c’est un acte de confiance entre une entreprise et son client.

Antoine

C’est sûr que j’ai toujours vécu dans la fonction publique, je dois avouer que je n’ai jamais fait une vente de ma vie.

Auguste

Moi j’ai passé mon temps à vendre et je peux te dire qu’on éprouve un sentiment formidable quand on fait une vente et qu’on sent que le client est content. Mais il ne suffit pas de faire une vente pour que l’économie fonctionne.

Antoine

Qu’est-ce qu’il faut en plus ?

Auguste

Il faut aussi que la vente soit profitable sinon l’entreprise ne dure pas. La vente, c’est déjà difficile, mais vendre avec un profit c’est encore plus difficile car l’entreprise n’est pas seule face au client, il y a de la concurrence.

Antoine

Grand-père, faire reposer l’économie sur la concurrence c’est horrible, c’est la loi du plus fort on ne peut pas construire une société là-dessus !

Auguste

Détrompe-toi, la concurrence c’est une générosité spontanée, cela force les entreprises à baisser les prix, ça redonne les gains de productivité au client, ça rend modeste parce qu’on est en permanence confronté aux autres et ça stimule et force à innover et à exceller. Au fond c’est en économie, l’expression de la liberté.

Antoine

Quel plaidoyer ! Néanmoins, cela reste le désordre. Des entreprises en faillite sont venues me voir, j’ai pu constater que dans le même métier, il y a des entreprises qui gagnent de l’argent et d’autres qui en perdent. Peux-tu m’expliquer cette anomalie ? C’est le foutoir ton économie, il n’y a pas de règle, on ne peut pas construire du solide là-dessus !

Auguste

La raison en est très simple : le profit ne vient ni de l’exploitation de l’employé ni de la manipulation des clients mais de l’excellence de l’entreprise.

Antoine
Donc tu considères qu’accuser les entreprises de manipuler les clients et d’exploiter les employés, c’est fallacieux ?

Auguste

Absolument ! Les clients ne sont pas idiots. Ils se tournent très vite vers les meilleures entreprises. Celles-ci gagnent des parts de marché. Quand une entreprise a de meilleures parts de marché, elle a plus de volume que ses concurrents, des coûts plus bas et des marges plus élevées.

Antoine,

Intéressant ! Tu vois l’économie de marché comme une démocratie : les clients choisissent quotidiennement les produits qui leur vont le mieux. C’est un angle complètement différent de celui qu’a pris Marx avec son affrontement entre capital et travail.

Auguste

Bien vu ! le marché est une démocratie économique et il faut voir le profit comme la récompense donnée par les consommateurs à l’entreprise qui leur donne le meilleur service, au meilleur prix.

 Antoine

Ton système conduit à des monopoles…

Auguste,

Oui, mais je pense que les autorités de la concurrence sont là pour mettre de l’ordre quand un monopole apparaît quelque part. Il faut aussi que je te parle de l’économiste Joseph Schumpeter.

Antoine

La notion de destruction créatrice ?

Auguste

Oui . Cette destruction créatrice est un concept très puissant. Les métiers ne sont pas éternels, ils ont des cycles de vie. Ils grimpent, parce qu’ils en remplacent un autre, puis se stabilisent et au bout d’un certain temps descendent parce qu’eux même se font substituer. Un des cas les plus connus, c’est celui de Kodak qui dominait le métier de la pellicule de photos. Kodak avait un quasi monopole et ce métier a été complètement détruit en quelques années par les appareils photo numériques, une technologie radicalement nouvelle.

Antoine
On m’a effectivement parlé à l‘école de Schumpeter et de sa destruction créatrice mais c’est passé vite.

Auguste

Le progrès technique donne fin naturellement à un grand nombre de monopoles : le train a tué les diligences, le téléphone le morse, la pointe bille les stylos à plume, l’iPhone le téléphone, l’ARN les vaccins traditionnels.

Et ça va de plus en plus vite …

Il y a la concurrence dans le métier et la concurrence entre métiers.

Grâce à elle, le consommateur est beaucoup mieux protégé qu’on ne le croit.

Antoine

Je vois ce que tu veux dire. L’économique n’est pas un bloc unique qui avance ou recule de façon uniforme, c’est un foisonnement avec des concurrences dans chaque métier et des concurrences entre métiers.

Auguste.

C’est pour cela que l’Etat est incapable de gérer ces milliards de décisions quotidiennes (il y a trois millions d’entreprises en France). Il faut éviter qu’il perturbe ces mécanismes et se consacre à assurer la liberté de décision des acteurs d’un système bien plus efficace qu’on ne l’explique en règle générale.

Pour en revenir à ta remarque sur les entreprises qui gagnent ou qui perdent dans le même métier, la vraie constatation à faire est la valeur à avoir une forte part de marché. C’est elle qui explique tout et cela va plus loin.

Antoine
Ah oui ?

Auguste
Cela donne au leader plus de moyens pour investir, contribue à une bonne utilisation des ressources et c’est excellent pour la société dans son ensemble.

Antoine,

As-tu vu dans d’autres pays des analyses intéressantes données par des politiques sur ’économie de marché ?

Auguste

En Allemagne, Helmut Schmidt a fait sa déclaration sur le profit ami du travail. Le Premier ministre Jean Chrétien, au Canada, a expliqué que ce n’est pas l’État qui créé les emplois mais que ce sont les entreprises et qu’il faut faire attention à ce que l’État ne gêne pas les entreprises car il pourrait détruire de l’emploi par de mauvaises politiques.

Antoine,

Selon toi, à quoi correspondent les mauvaises politiques ?

Auguste

Ne pas avoir compris que la mondialisation changeait tout ! Il y a une énorme évolution depuis une cinquantaine d’années, la définition des marchés s’est étendue au continent voire au monde. Chaque entreprise est en concurrence non seulement avec ses compatriotes mais aussi avec les entreprises logées dans les pays voisins .

Antoine

Qu’est-ce que ça change ?

Auguste

Énormément de choses ! Les entreprises situées dans des pays où la sphère publique est plus efficace ont un avantage sur les autres. La règle de part de marché ne joue plus au niveau local mais au niveau continental voire mondial.

Antoine

Cela veut dire que les Etats sont concernés par ce que font les Etats voisins ?

Auguste

Absolument ! L’efficacité de l’Etat rentre en jeu directement. En France, la sphère publique contrôle et gère 58% de la valeur ajoutée et le privé 42%. Si le public est trop lourd ou mal géré, il plombe les entreprises. Une excellente gestion sur 42% du coût ne rattrapera jamais des erreurs sur 58%. C’est terrible, mais c’est comme cela. J’ai vécu la frustration de me faire battre par des concurrents étrangers qui, objectivement, étaient moins bons que nous, mais qui avaient de meilleurs prix de revient… J’en suis encore malade !

Antoine

Terrible ce que tu racontes... Ça me rappelle des papiers que j’avais lus, il y a quelques temps où on comparaît l’économie à une course hippique.

Auguste

Ah oui ?

Antoine

C’était un dessin qui représentait des chevaux (entreprises) et leur jockey (Etat). On expliquait qu’on a rarement vu un jockey obèse gagner le prix de l’Arc de Triomphe !

Auguste

Tu as tout compris ! Il y a une autre analogie que font les Asiatiques sur les courses de barques à rame : les barques ont en général six rameurs et quatre barreurs ; la France a, quant à elle, six barreurs pour quatre rameurs, l’embarcation française est évidemment à la traîne pendant la course…

Antoine

C’est vache, mais c’est vrai que dans l’OCDE les sphères publiques sont à 40% du PIB alors qu’ici on flirte avec les 60%, c’est le ratio rameurs/barreurs de ton histoire.

Auguste

Le jour où les Français auront compris que l’entreprise est la pierre angulaire de l’économie, celle qui donne les emplois et détermine la prospérité, ils demanderont à leur sphère publique d’adopter un régime jockey et l’industrialisation reprendra.

Antoine,

Tu crois que c’est possible de baisser les coûts de la sphère publique ?

Auguste

Pas simple, surtout parce qu’elle est en situation de monopole et qu’elle n’a pas de concurrents. La fonction publique française regorge de gens brillants, mais les fonctionnaires ne sont pas habitués à penser coût.

Antoine

Il faut un énorme travail pour faire évoluer les mentalités, as-tu des pistes ?

Auguste

Il y a un livre très intéressant qui vient de sortir, écrit par Jacques de La Rosière. Il a été directeur général du Fonds monétaire International, puis patron de la Banque de France et de la BERD.

Antoine

Il connaît parfaitement la France et a énormément voyagé.

Auguste

Il s’inscrit complètent dans les idées que je viens de te décrire et identifie 200 milliards d’économie. Invite-le et discute avec lui. Cela te mettra les idées en place sur les économies à faire pour redonner de la dynamique au pays.

Antoine

Grand-père, un grand merci ! Tu viens de répondre à mes questions. Il faut que l’Etat adopte un régime jockey, ce n’est pas la rigueur, c’est la recherche de sveltesse. On sort des Jeux Olympiques, les Français devraient comprendre, le concept d’un régime sportif pour l’Etat qui redonnera la compétitivité aux entreprises et qui favorisera l’attractivité du pays.

Auguste

Tu as tout compris : chassons de la sphère publique tous les coûts inutiles et améliorons son efficacité opérationnelle.

Antoine

Merci, cela a été une de nos discussions les plus productives !

Fin du chapitre 10. La suite, au prochain épisode...

Publié le lundi, 23 septembre 2024

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