Les déficits sociaux. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 11

Écrit par Xavier Fontanet - Membre de l'Institut des Solutions
Xavier Fontanet © D.R.

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du faut de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 11e chapitre, nous les écoutons échanger sur les déficits sociaux et les réformes à conduire pour les résorber.

Les déficits sociaux

Antoine

Grand-père, j’ai besoin de discuter avec toi. Je ne comprends pas comment on est passé si rapidement d’un déficit de 4 % à 6 %.

Auguste 

Je me pose exactement la même question que toi. J’ai une idée sur le sujet. Je suis en train de lire le dernier livre de Jacques de La Rosière. « Le déclin français est-il réversible ? ». Jacques de La Rosière est un personnage éminent, il connaît parfaitement les rouages de l’Etat puisqu’il a été directeur du Trésor et patron de la Banque de France. Il a une énorme expérience mondiale comme directeur général du FMI puis comme président de la BERD ; à 95 ans il est extraordinairement actif.

Antoine

C’est rare de voir conjugués à ce point expérience et dynamisme !

Auguste

C’est pour cela qu’il faut l’écouter avec attention. Je suis tombé en arrêt sur le chapitre de son livre qui concerne la retraite.

Antoine

Qu’est-ce qu’il dit ?

Auguste 

Tiens-toi bien je croyais, d’après ce que j’avais lu dans la presse que le déficit de la retraite était de l’ordre de 10 milliards ; en fait il faut rajouter 71 milliards pour combler le trou des caisses de la retraite des fonctionnaires et des régimes spéciaux.

Antoine

71 milliards ce n'est pas une paille !

Auguste 

Des subventions d’Etat ont été assimilées à des cotisations, tu te rends compte !

Antoine 

Comment est-ce que les Finances ont pu accepter une telle présentation des choses ? Ou quelque chose m’échappe...

Auguste 

J’en veux aussi beaucoup au COR, le Conseil d'orientation des retraites. Le COR, en traitant les subventions massives comme si elles étaient des cotisations, fait apparaître la branche Vieillesse comme équilibrée, alors qu’en fait elle est largement déficitaire. Faute grave que fait l’État ?

 Antoine 

Je suis ennuyé et ne sais quoi te répondre ; je sais que ça dépend du ministère des Affaires sociales. Je reconnais comme toi qu’ils ont fait un très mauvais travail.

Auguste

Les patrons, qu’est-ce qui leur arrive dans un cas comme cela ?

Antoine

Je vais les convoquer pour me faire expliquer les choses.

Auguste

C’est d’autant plus grave qu’en ne parlant pas de ces pertes, cela contribue à rendre les syndicats irresponsables dans leur demande. Autre conséquence, c’est l’Etat qui va combler le trou des caisses sociales, on va devoir augmenter les impôts parce qu’il faut bien trouver les sous et au bout du bout on va taper sur les créateurs de valeur et les entreprises qu’on va démotiver et affaiblir et cela ne fait pas de bien à l’emploi.

Antoine

Ils font tout de même des superprofits.

Auguste

Attention les plus belles entreprises, notamment toutes celles de l’énergie, sont extrêmement lourdes en capitaux, en particulier EDF, il ne faut pas se tromper sur la lecture de leurs comptes.

Antoine 

Lourdes en capitaux, explique-moi !

Auguste

Dans le monde de l’énergie il faut trois euros de capital par euro de chiffre d’affaires ; une rentabilité normale sur le capital, disons de 7%, correspond à une marge de 21% sur chiffre d’affaires.  On va évidemment parler de surprofits alors que ceux-ci sont tout simplement normaux.

Antoine 

Vu, il faudrait que tout le monde comprenne.

Auguste

On en revient toujours à cette histoire de cours d’économie, il vaudrait mieux expliquer dans les écoles les bilans et les comptes d’exploitation que les théories de Bourdieu sur la reproduction sociale.

Antoine

Après l’impôt va immanquablement tomber sur les riches, donc en pratique sur les entrepreneurs.

Auguste

Évidemment ! On va ressortir l’argument de la justice fiscale ;qui peut être contre la justice fiscale ? Mais le problème de la justice fiscale c’est un jeu de mots, un oxymore si tu comprends l’expression. Elle viole le principe d’égalité devant la loi. Quand on y réfléchit un peu ça revient à ce que l’Etat s’immisce dans les rémunérations, ça restreint les libertés individuelles et ça conduit à des allocations inefficaces.

Antoine

Tu ferais quoi ? 

Auguste

Il faut revenir à des choses simples et raisonner comme chacun le fait pour son budget personnel, ou comme un boulanger le ferait pour son magasin …revenir au gros bon sens.

Antoine 

Allons-y !

Auguste

Je pars sur les chiffres de Jacques de La Rosière sur la retraite. Les recettes 274 milliards, les dépenses 345 milliards, le nombre d’années d’une vie de travail c’est 40 ans et le temps de retraite moyen 25 ans toujours pour avoir des chiffres simples. 

Si on retarde d’un an l’âge de démarrage de la retraite on va gagner 2,5% % sur les 274, soit 7 milliards.

Antoine

Je t’arrête, je ne comprends pas.

Auguste 

Le 2,5 % c’est la différence entre 41 et 40, je vise l’ordre de grandeur.

Antoine 

Ok ! L’effet sur la prestation ?

Auguste 

L’effet sur les dépenses est très important parce que là on passe de 25 ans à 24 ans, donc là on gagne 4 % de 345, ça fait 14 milliards. Donc au total les comptes s’arrangent de 20 milliards.

Antoine

On ne nous a jamais présente les choses de façon aussi simple.

Auguste

Dommage, ce n’est sûrement pas tout à fait exact mais c’est l’idée. C’est le calcul que font la plupart des pays étrangers. Tu as vu qu’ils retardent régulièrement l’âge de départ parce qu’ils sont en face des comptes. Dans aucun de ces pays, l’Etat comble les trous, ils sont obligés d’équilibrer les caisses année après année, décaler d’une année, ça arrange les comptes.

Antoine

Il faudrait passer à 67/68 ans pour s’approcher de l’équilibre.

Auguste

Tu as pigé ! 67 ans ça ferait 60 milliards, 68 ans 80 milliards ce qui équilibrerait à peu près les comptes. Tu verras que tous les pays européens sont en train de passer à 67/68 ans.

Antoine

Il faudrait évidemment vérifier tous ces chiffres mais il y a une sacrée coïncidence.

Auguste

Les 71 milliards plombent complètement les comptes de l’Etat, il n’est pas assez costaud pour porter tout cela ! Tu rajoute les déficits des comptes de santé, c’était 30 milliards pendant le Covid, c’est tombé à 12 je crois. Avec l’Etat-Providence on se fait des idées, il est ruiné et croule en ce moment sous la dette.

Antoine

Pour toi, c’est l’explication des dérapages des dépenses publiques ?

Auguste

C’est une des deux explications. Les 200 milliards à gagner, il faut le faire à la fois sur le régalien et sur le social. Mais j’ai un conseil très simple.

Antoine

Ce serait quoi ?

Auguste

Dis à ton Premier ministre de faire réfléchir les Français sur l’idée de sortir du paritarisme.

Antoine

C’est du lourd du très lourd. Toi qui as voyagé quels sont les pays qui ont fait les réformes les plus marquantes ?

Auguste

Des réformes marquantes, ça a été le Canada pour le régalien l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande pour le social ; on m’en a parlé, je peux résumer. Le trait commun entre ces deux pays c’est que les dirigeants ont considéré que la dette était trop élevée et la population a accepté le diagnostic.

Antone

Quel niveau de dette avaient-ils ?

Auguste 

Tiens-toi bien c’était (seulement !)  70 % du PIB, mais ils disaient que c’était une fois et demie les recettes fiscales, une autre façon plus réaliste de présenter les choses.

Antoine

Nous c’est 110 % du PIB donc pas loin de deux fois et demie. Tu vois une société qui fait 100 de ventes perd 12 et est endettée de 250 ???

Auguste

Tu as pigé. Les dirigeants de ces pays ont dit clairement aux syndicats et au patronat : c’est à vous de gérer le social. Ce n’est pas à moi. J’ai beaucoup de boulot à faire avec le régalien, gérez le social, je m’occupe de baisser les coûts de la sphère publique.

Antoine

Est-ce qu’il y avait une logique générale ?

Auguste

Tu fais bien de poser la question : la logique de base était la suivante, ce sont les entreprises qui créent les jobs, pas l’Etat ; l’Etat peux gêner les entreprises s’il est trop coûteux ; dans un monde concurrentiel il faut être compétitif ; ça concerne l’Etat au premier chef, nous allons suivre un régime de sportifs.

Antoine

Et pour le social ?

Auguste

En Allemagne, ils se sont dit : nous sommes attachés au système social, c’est la base de la société, mais si nos finances ne tiennent pas la route, des financiers prendront la main et eux n’ont pas la fibre sociale ; pour garder la maîtrise de notre destin il faut que chacun fasse des efforts, à son niveau, ou qu’il soit dans la société. 

Antoine

Il faut que chacun s’y mette, c’est affaire de dignité.


Auguste

Sur le régalien, Jacques de La Rosière voit énormément de gains. Il fait des comparaisons sur le nombre de fonctionnaires en France et nous compare à l’Allemagne. On a une population qui est 20 % moindre et un nombre de fonctionnaires qui est 30 % plus élevé.

Antoine

Un gain important peut être obtenu, en arrêtant d’embaucher des fonctionnaires pendant une dizaine d’années, c’est là qu’il voit la plus grosse source de gains, c’était la recommandation de la mission Pébereau en 2005.

Antoine

Est-ce que Jacques de La Rosière donne un autre conseil ?

Auguste

Évidemment, il considère qu’il faut faire des budgets à zéro.

Antoine

Qu’est-ce que c’est qu’un budget base zéro ?

Auguste

Un budget base zéro c’est très simple. On prend toutes les lignes du budget et on se demande quand est-ce que cela été initié et qu’est-ce que cela continue à apporter ? D’autres font le même travail.

Antoine

Si je comprends, chaque département doit justifier son existence chaque année. Je me rappelle notre discussion sur les CESE : plein d’activités qu’on peut arrêter.

Auguste

On peut aller plus loin. Il y a aussi le Commissariat au plan et France Stratégie. Il faut en prendre un sur les trois et fermer les deux autres. Tout ça fait des grosses économies mais cet exercice, il faut le faire partout. 

Antoine 

Qu’est-ce qui s’est passé au Canada puisqu’apparemment c’est lui qui a été le plus fort ?

Auguste

Ils ont baissé les ministères de + de 20 %, des ministères comme ceux de l’agriculture et de l’industrie, donc chacun fait du budget base zéro, tout ce qui n’était plus utile a été carrément enlevé.

Antoine

Le personnel ?  Ça a dû être un bain de sang !

Auguste

Tiens-toi bien ils se sont recasés, le personnel de la Fonction publique est de bon niveau.

Antoine

Je comprends… Comment on peut obtenir 200 milliards ? Moitié public et moitié social ?

Auguste 

A mon avis c’est le bon dosage. Rien que la retraite c’est 80 milliards, on en a déjà parlé mais on peut faire aussi beaucoup sur la santé qui a perdu 30 milliards suite au Covid.

Antoine 

Qu’est-ce que tu as vu de plus intéressant dans la santé ?

Auguste

C’était l’Allemagne.

 Antoine

Qu’est-ce qu’ils ont fait ?

Auguste 

Les Allemands ont pris une mesure très simple : un ticket modérateur, au lieu de faire une carte Vitale avec laquelle un certain nombre de gens trichent.

Antoine

Le ticket, combien ?

Auguste

25 euros, ça a remis les comptes à l’équilibre en un an.

Antoine 

Sur le chômage, le plus intéressant que tu aies vu ?

Auguste

Là encore ce sont les Allemands qui ont été les plus intéressants. Ils ont expliqué que quand les temps sont durs, il faut que chacun fasse des efforts. Alors on peut financer le chômage mais les gens ne peuvent pas refuser tous les jobs et c’est là qu’ils ont lancé la phrase extraordinaire : « Il vaut mieux un job, pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison ».

Antoine

Très belle idée parce que la clé c’est de mettre les gens au boulot. Une fois qu’ils sont dans les boîtes, ils sont socialisés et puis après il grimpent. L’idée d’avoir le job idéal avant de le prendre, c’est une idée à casser. Je résume :  tu donnes des pistes sur le régalien, la retraite, la santé et le travail, maintenant il y a une dimension qui me frappe c’est qu’on parle beaucoup de capitalisation à l’étranger et qu’on n’en veut pas en France.

Auguste

Là, tu touches à des sujets les plus importants. Si Mitterrand avait lancé la France dans la capitalisation en y consacrant ne serait-ce qu’un tiers des dépenses, on aurait plus aucun problème.

Antoine

Pourquoi ?

Auguste

Le CAC 40 a été multiplié par presque 15 sur la période. Un euro investi à ce moment-là ça fait 15 euros. Aujourd’hui tous les pays qui parié sur le capital pour leur retraite n’ont aucun problème.

Antoine

Ce sont des chiffres fous !

Auguste

Pas du tout, ça fait un peu moins de 7% par an.

Antoine

Oui, tu me parlais de  Singapour qui fait de la capitalisation depuis 1960, les retraites sont appuyée sur deux fonds : GIC et TEMASEK, qui ont une capitalisation double du PIB.

Auguste

Il n’y a  pas qu’eux, regarde le marché financier : près de la moitié des actions sont entre les mains de fonds de pension. C’est la mesure simple du nombre de gens qui ont des retraites de capitalisation. Ils se comptent par centaines de millions dans tous les pays où la capitalisation a été acceptée.

Antoine 

Pourquoi ce n’est pas développé en France ?

Auguste

Beaucoup d’opposants au principe de l’économie de marché. Le capital, c’est l’ennemi, du coup on n’a jamais expliqué que le marché financier a un taux de croissance plus rapide que l’économie.

Antoine

C’est sûr que les gens comme Piketty et ses alliés ont fait des dégâts.

Auguste,

Énormes dégâts. Nos voisins sont beaucoup plus pratiques que nous, ils mettent la puissance du capital au service des retraites. Vu le tempérament des Français, la piste la plus intéressante à suivre, c’est probablement l’actionnariat salarié qu’on pourrait présenter comme la suite de l’intéressement et de la participation. 

Antoine

Oui c’est bien l’actionnariat salarié mais j’en ai beaucoup discuté. Les politiques ne sont pas d’accord parce qu’ils ne veulent pas d’un système où on peut perdre à la fois son job et ses économies. J’ai discuté avec des familles propriétaires d’entreprises, elles pensent que c’est à elle de porter le risque capitalistique. Les syndicats n’en veulent pas parce que « le risque c’est pour le patron ». Le marché financier ce n’est pas mieux, il n’aime pas trop voir les salariés prendre trop d’influence dans les conseils qui pourraient perdre des décisions qui ne leur serait pas favorables, à eux, actionnaires. Donc cette affaire est mal partie !   

Auguste

Oui mais il y a un fait nouveau, c’est qu’il y a maintenant des entreprises qui le pratiquent depuis 40 ans avec un énorme succès ; la Fonction publique l’utilise pour les retraites des hauts fonctionnaires, ça marche très bien.

Antoine

Qu’est-ce que tu ferais pour atténuer le risque ?

Auguste

Une solution très simple ce serait  de faire investir les gens dans un portefeuille qui contient 50 % des actions de l’entreprise et 50 % d’un portefeuille très diversifié.

Antoine  

C’est une belle idée !

Auguste 

C’est une idée qui vient des États-Unis où cette formule a eu un énorme succès surtout  dans les PME. Il y aurait un joli coup à jouer en partant des faits : les actionnaires salariés gardent leurs actions très longtemps, on peut justifier une baisse de la fiscalité sur les plus-values au titre de longue détention.

Antoine. 

Ah ça c’est une magnifique idée, cela donnerait aux autres pays l’image d’une France qui a compris ce que c’est le capitaliste patient, ce serait bien, pas besoin de redorer notre image. 
Grand-père, plein d’idées, on se quitte !

Auguste

Le mot de la fin : dis au Premier ministre de réfléchir à une sortie du paritarisme associée au lancement de l’actionnariat salarié comme l’on fait les Allemands à la période Schroeder-Harz.

Fin du chapitre 11. La suite, au prochain épisode...

Publié le mardi, 08 octobre 2024

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