Les réformes en Allemagne. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 13

Écrit par Xavier Fontanet - Membre de l'Institut des Solutions
Xavier Fontanet © D.R.

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du faut de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 13e chapitre, nous les écoutons échanger sur les réformes en Allemagne au milieu des années 2000.

L'Allemagne

Antoine
Grand-père, on me parle beaucoup des années Gerhard Schröder / Peter Hartz (2003 - 2005) et de ce qu’ils ont fait pour le marché du travail, tu peux m’en dire plus ?

Auguste
Bien sûr mais pour bien comprendre il faut remonter plus haut, aux années 1995, c’est-à-dire près de 10 ans avant la réforme Schröder. Deux événements très importants ont eu lieu. D’abord le congrès de Bad Godesberg en 1996, dans lequel les syndicats ont pris leurs distances par rapport aux partis politiques et ont officiellement expliqué qu’ils abandonnaient les idées de Marx…

Antoine
Ouh, on n’en n’est pas encore là ! Nous avons, ici en France, des syndicats qui n’ont pas coupé le lien avec les idées communistes. Un énorme sujet, enfin je t’ai coupé, reprends, je t’en prie.

Auguste
Deuxième moment important, le jour où le Chancelier Helmut Schmidt a trouvé une formule géniale qui a fait évoluer les esprits : «Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain».

Antoine
Le profit est, en faisant grossir le capital investi, un vrai ami du travail. Très fort !

Auguste
Helmut Schmidt (contemporain de Valéry Giscard d'Estaing) a, en effet, par cette formule, réussi à réconcilier dans la tête des Allemands, le profit et le travail. Évolution considérable quand on sait qu’en France encore aujourd’hui, la CGT pense que le profit est le résultat de l’exploitation du Travail par le Capital. Pour elle le profit est un travail volé. Les Allemands et le reste de l’Europe ont une sacrée longueur d’avance conceptuelle sur nous.

Antoine
Que de chemin à faire en France effectivement…

Auguste
Après Schmidt, il y a eu la période d'Helmut Kohl, fondamentalement celle du rapprochement avec l'Allemagne de l’Est. On ne l’a pas expliqué, mais les Allemands ont envoyé 1 500 milliards d’euros à l’Allemagne de l’Est.

Antoine
Excusez du peu.

Auguste
La conséquence de ces efforts financiers gigantesques a été une montée de la dette (à 70% du PIB) et des impôts records. La sphère publique à cette époque a atteint 57 % du PIB (la France était à l’époque à 50%) et l'économie s’est complètement déglinguée. C’était l’époque où l’on expliquait que l’Allemagne était l'homme faible de l’Europe, et durant laquelle la France se glorifiait de marcher mieux qu’elle. On a vu un développement très important du marché noir accompagné de ses effets pervers, notamment la chute des recettes publiques.

Antoine
Mais grand-père, une dette à 70 % du PIB ce n’est pas la catastrophe.

Auguste
Ça n’a pas été l’avis de Schröder qui a sifflé la fin de la récréation. Il a expliqué très solennellement aux Allemands (et a été entendu) qu’un endettement trop élevé annonçait la fin de l’autonomie. Et que si l’on voulait garder un système social sous contrôle, il fallait impérativement le réformer pour éviter qu’un jour la grande Finance débarque et prennent le pouvoir sur le pays.

Antoine
Peter Hartz, qui apparemment, a joué un rôle très important, venait de chez Volkswagen. C’était le DRH si j’ai bien lu ! Comment s’est fait le lien ?

Auguste
C’est un beau sujet pour toi ; le plus proche collaborateur de Schröder venait d’une grande entreprise, Volkswagen. Schröder a connu Hartz parce que en tant que président de la région Bade-Wurtemberg, il siégeait au conseil de Volkswagen.

Antoine
Une retombée intéressante de la régionalisation !

Auguste
Eh oui ! Il a vécu le moment difficile où Volkswagen envisageait de fermer l’usine historique de Wolfsburg ou de la diviser par deux au moins !

Antoine
L’usine mère de Volkswagen avec 80 000 employés, divisé par deux, ça devait aller très mal !

Auguste
Si tu regardes les comptes de Volkswagen sur une longue période, tu verras qu’ils sont passés par des périodes très dures. La raison est très simple c’est que les dépenses publiques étaient tellement élevées que, rentrant dans les prix de revient de Volkswagen, elles empêchaient l’export. Or l’Allemagne marche surtout avec l’exportation. Volkswagen n’arrivait plus à vendre en dehors des frontières allemandes.

Antoine,
Qu’est-ce qui s’est passé alors ?

Auguste
Hartz a réuni tous les ouvriers avec leurs familles et les a mis devant l'alerternative suivante : soit on ferme la moitié de l’usine, soit on change les contrats de travail.

Antoine
Et quelle a été l’idée du nouveau contrat de travail ?

Auguste
L’idée a été de proposer un CDI à temps variable, c’est-à-dire un contrat à durée indéterminée, la durée hebdomadaire dépendant de la conjoncture. Cette durée pouvait varier de 4 × 7 = 28 heures dans les années difficiles à 5 × 9 = 45 dans les bonnes années.

Antoine
Il y avait, j’imagine, une compensation dans toute cette affaire.

Auguste
Évidemment et c’est là que Hartz a montré tout son génie, la compensation du changement du contrat de travail (tu as bien compris qu’on gardait le principe du CDI) était un intéressement massif dans les bonnes années.

Antoine
Une idée de chiffres ?

Auguste
Les bonnes années, les ouvriers ont touché 15 000 € d'intéressement, donc on ne parlait pas de petites sommes. Voilà pourquoi l’Allemagne a bien passé la crise.

Antoine
Le CDI à temps variable permettait aux entreprises de bien mieux supporter les fluctuations de demande, c’est une des raisons pour lesquelles les sociétés allemandes se sont beaucoup moins endettées que les françaises.

Auguste
Tout à fait. Dans la foulée, Schröder a confié à Hartz une commission d’étude où il a rassemblé des personnes de très haut niveau de tous les milieux, la fameuse commission Hartz,  Grosse différence avec la commission Attali de 2007 sur la libération de la croissance française, la commission Hartz avait à sa tête un homme qui avait passé toute sa vie en entreprise. Autre différence, elle n’avait que 12 membres et a siégé beaucoup plus longtemps.

Antoine,
Qu’est-ce qu’ils ont fait ?

Auguste
Schröder et Harz ont commencé un tour d’Allemagne dont le but a été double : expliquer qu’il y avait plus de sous dans les caisses de l’État et que l’État ne pouvait plus combler les caisses de santé, de retraite et de chômage.

Antoine
C’est là qu’ils ont expliqué que le système social était en danger qu’il fallait que chacun fasse des efforts.

Auguste
Tu viens d’exprimer très exactement ce qu’a réussi Schröder et ce qui constitue une des forces de l’Allemagne par rapport à nous : chacun doit faire des efforts. Syndicats et patronat ont pris les choses en main, on ne l’a pas expliqué en France, mais le passage de l’âge de la retraite à 65 ans s’est opéré très vite en Allemagne dès que les syndicats et le patronat ont eu les vrais comptes sous les yeux. Il y a eu une autre décision très dure mais simple : le ticket modérateur à 25 € qui a remis d’équerre les comptes des caisses de santé.

Antoine
Très intéressant mais c’est, je crois, sur le travail que les réformes ont été les plus décapantes.

Auguste
Schröder et Harz ont commencé par réaffirmer le principe de l’aide aux gens qui ont un passage difficile, le concept de solidarité, ciment de la société, mais en échange de l’aide on demanderait des efforts (travaux d’intérêt public). Ça a été le concept de solidarité exigeante, (fördern und fordern, la langue allemande permet de jouer sur les mots ; "promouvoir et exiger") concept absolument génial avec la fameuse phrase : « Il vaut mieux un job pas tout à fait satisfaisant que l’horreur du chômage même bien payé à la maison ».

Antoine,
Encore une jolie formule ! Ce qui est très intéressant, c’est que c’était la période où la France marchait beaucoup mieux que l’Allemagne. Elle avait une part de l’État dans le budget plus basse, on était à 50 % à l’époque. C’est l’époque de la commission Pébereau qui recommandait fermement de ne surtout pas aller au-dessus de 50 % et l’époque où Lionel Jospin disait que, nous Français, on a fait le choix d’un chômage bien payé.

Auguste
Schröder et Hartz ont continué. C’était toutes les inventions des contrats visant les temps partiels que les Français ont appelé mini-jobs. Il s’agissait surtout de s’attaquer au travail fait au noir et Hartz avec qui j’ai eu la chance de dîner plusieurs fois m’a affirmé que la part du travail au noir dans l’économie allemande approchait dans certaines régions les 20 %. C’était la conséquence d’une sphère publique trop chère.

Antoine
Intéressant, on ne parle jamais de ce phénomène qui doit être développé au moins dans certaines régions, il faut que je demande au ministre des Finances une étude sur le sujet.

Auguste
On a proposé des charges sociales très faibles pour les activités à durée de travail très courtes par exemple les métiers des supermarchés, le ménage, le soin des plus anciens où les gens étaient payés 450 € pour quinze heures par semaine.

Antoine,
Pas cher payé ! C’est pour cela qu’on a parlé des mini jobs.

Auguste
Bien sûr mais on s’est bien gardé en France d’expliquer deux choses. Première chose, succès considérable : 9 millions de jobs, avec 3 millions de personnes qui en avait deux.

Antoine
Ça a donc remis sur le marché du travail 3 millions de personnes.

Auguste
Deuxième chose qu'on n’a pas dite, c'est que les rémunérations des mini jobs ont augmenté de plus de 50 % au bout d’un an quand on a vu le succès de la formule. Le marché noir s’est effondré, les recettes fiscales ont remonté et ça a contribué au redémarrage de l’Allemagne.

Antoine
Je comprends mieux pourquoi on dit que Hartz et Schröder ont révolutionné le marché allemand du travail, les CDI à temps variable pour les grandes entreprises et les contrats pour les mi-temps, le tout inspiré par l’idée de solidarité exigeante. Les trois facteurs ont expliqué le retour à bonne fortune de l’économie allemande. Et les médias dans toute cette affaire ?

Auguste
Tu as raison de poser la question. En fait ça a très mal commencé parce que le frère de Schröder avait une rubrique hebdomadaire dans Bild, il était jaloux de son frère et cassait sa politique. Bertelsmann à l’inverse a compris que le destin du pays était en jeu et il s’est mis du côté de Schröder avec ses grands quotidiens, et ses hebdomadaires.

Antoine
Grand-père, on t’écouterait des heures ; je retiens l’idée de voir l’Etat sortir du paritarisme mais je me rends compte que l’heure tourne, il va falloir que j’y aille.

Auguste
Pas de problème. Un dernier commentaire. Il faut bien comprendre que les Allemands sont passés par des périodes très dures ; ils considèrent que nous, nous n’avons rien fait. Donc quand on donne des leçons, ils rient sous cape ; c’est très important que tu le saches, ce n’est pas bon pour la cohésion de l’Europe. Bon boulot !

Fin du chapitre 13. La suite, au prochain épisode...

 

Publié le vendredi, 25 octobre 2024

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