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Anne Coffinier : « Les réformes de l'école s’empilent depuis 30 ans et donnent le tournis aux professeurs qui sont lassés »

Écrit par Contribuables Associés
Anne Coffinier ©Shutterstock Anne Coffinier ©Shutterstock

Dans cet entretien Anne Coffinier, présidente de l’association « Créer son école », décrit un ministère de l’Education nationale à la dérive. Malgré la somme colossale d’argent public versée à ce ministère, l’école sombre dans la médiocrité.

 

La France dépense plus de 60 milliards d’euros par an pour ses professeurs et ses élèves mais le paquebot Education part à la dérive. Que fait l’Education nationale de nos impôts ? Pourquoi l’école va si mal alors qu’on dépense pour l’éducation un pognon de dingue ?

Anne Coffinier : Ce n’est pas nouveau et ça fait longtemps que l’école en France nous revient plus cher que dans les autres pays, surtout pour une qualité qui se dégrade de plus en plus comme le montre le test PISA qui est mené au niveau de l’OCDE. C’est un test qui est fait sur le niveau des enfants à 15 ans et montre bien que la France décroche de plus en plus. Si on ne tient pas la route en France au niveau de la formation et du capital humain, alors nos enfants n’auront pas de destin. Pourquoi cette situation ? Eh bien parce qu’il y a du gaspillage à tous les étages. Il y a 300 000 personnels de l’éducation nationale qui ne sont pas enseignants. Il faut aussi rajouter le chiffre tabou du nombre de personnels enseignants détachés de l’Education nationale comme les syndicalistes et les nombreuses personnes qui sont à la Ligue de l’enseignement. Tous ces gens sont payés par nos impôts au même moment où l’on manque de professeurs dans nos salles.

On compte 1,2 million d’agents à l’Education nationale. 300 000 personnels, ça représente un quart des effectifs qui ne sont pas devant les élèves.

Oui. Il y a une manne qui est à explorer pour essayer de faire plus de présence devant les élèves et diminuer les coûts.

En août dernier, Harris Interactive a publié une étude très intéressante où l'on apprend que 67% des Français jugent que l’école ne fonctionne pas. Pour 97% d’entre eux, le problème se pose surtout dans le public. 74% des interrogés dénoncent une action insuffisante des pouvoirs publics. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les réformes s’empilent depuis 30 ans et donnent le tournis aux professeurs qui sont lassés. Ce n’est pas en faisant une réforme sur le programme que ça changera. On est arrivé à rendre la population enseignante rétive. Le grand enjeu de Pap Ndiaye est de restaurer un minimum de confiance, après la tornade Blanquer, entre l’Etat et les professeurs. Tous les secteurs qui font la qualité d’une bonne éducation se sont dégradés ; je pense en particulier aux programmes qui sont changés dans tous les sens en plus d’être idéologiques. Tout est devenu prioritaire donc on n'a plus de temps pour les fondamentaux. La profession enseignante s’est dégradée car elle s’est prolétarisée. Les enseignants sont payés 1,2% de plus que le smic. A cela, s’ajoute la dégradation de la discipline. Il faut mettre un casque lourd pour rentrer dans un établissement et faire cours sans inquiétude. A cela, s’ajoute le stress de l’absence de soutien de l’administration en cas de problème. Tout ça a donné un système qui n’a plus aucune lisibilité et qui est inégalitaire. Il faut avoir toutes les clés et toutes les connaissances pour arriver à slalomer à l’intérieur de ce système ; c’est très choquant. Comprenez-bien : La France est le pays le plus inégalitaire de tout l’OCDE.

Trop de réformes et de mauvaises réformes. Est-ce à dire qu’il ne faut plus rien faire aujourd’hui ? Doit-on faire des réformes plus sages et de bon sens ?

Il faut essayer de trouver un point de levier. C’est évident qu’il faut augmenter les professeurs. 50%, c’est la base.

A ce sujet, le gouvernement a annoncé récemment qu’aucun enseignant ne sera payé moins de 2 000 euros par mois.

Cela, c’est pour les enseignants débutants. C’est d’ailleurs la moindre des choses mais ça ne suffira pas car il y a deux problèmes : l’évolution des salaires selon l’ancienneté et les statuts des contractuels. Peu de personnes veulent passer les concours donc il faut bien prendre des contractuels. Cette année il manquait à peu près 4 000 personnes sur les concours. Il y a des postes qui ne sont pas occupés par des gens qui sont supposés être compétents. Alors les écoles ont recours aux contractuels. Ils sont 4 500 pour la rentrée de cette année. Les contractuels représentent 8% des enseignants à l’échelle nationale. Dans certaines académies ça monte à 20% !

Le ministre de l’Education nationale a dit pourtant que 8% c’était assez peu…

C’est une moyenne, à Créteil c’est le quart. Ces contractuels peuvent être extraordinaires. Ce sont des gens qui ont une carrière derrière eux, qui se reconvertissent et qui se disent un jour : « Pourquoi pas transmettre ? ». On les traite comme des débutants, comme s’ils ne savaient rien. On ne prend jamais en compte leur niveau d’études et leurs expériences. Les pays européens ont recours massivement aux contractuels mais ils les sélectionnent et ils les forment. Nous, nous ne les sélectionnons pas, nous ne les payons pas et nous ne les formons pas. De fait, la contractualisation correspond à un vrai problème. Si Pap Ndiaye dit « pas de problème, on va les titulariser », ça ne changera rien à la situation. Ils ne seront toujours pas payés, toujours pas mieux formés et capables de remplir cette mission. Il faut se décontracter sur la question. Faisons en sorte de rendre attractif le fait d’être contractuel. Il y a une vie avant et après l’Education nationale !

La hausse des salaires va-t-elle rendre le travail plus attractif ?

C’est une évidence qu’il faut augmenter les salaires mais ça ne suffira pas. La France n’est pas un pays qui valorise l’étude, le savoir. Ceux qui sont les plus mis en avant sont ceux qui gagnent beaucoup d’argent, qui tapent dans le ballon, qui sont des influenceurs. Ce sont ceux-là qui sont vus comme des vedettes nationales. Ce ne sont sûrement pas les savants, les chercheurs, les professeurs qui sont perçus comme des gens qui n’ont rien compris aux enjeux de la vie et qui continuent à faire des activités sous payées et à être mal traités. C’est une révolution culturelle, comme disait le président de la République, qui doit avoir lieu pour que collectivement l’éducation devienne une cause nationale.

Augmentation des salaires d’accord mais faut-il revoir, par exemple, leur temps de travail ? Devront-ils travailler plus ?

Il faut laisser la décision à chaque école. La seule vraie réforme à faire c’est l’autonomisation complète de chaque école dans l’Education nationale. Le problème c’est que Pap Ndiaye et le président Macron soupoudrent de semi-mesures. On propose un fonds d’investissement avec un petit peu d’argent pour des expérimentations pédagogiques.

Bref, c’est une usine à gaz qui va tout compliquer et créer de l’injustice. Il n’y a pas cinquante solutions. L’OCDE l’explique : si on veut des écoles qui fonctionnent, alors il en faut avec un haut niveau d’indépendance et d’autonomie en plus d’une évolution claire et transparente pour voir ce qui va et ne va pas.

Et il y a la question de l’absentéisme chez les professeurs qui coûte 4 milliards d’euros par an aux contribuables (chiffres tirés du rapport de la Cour des comptes). Que faire pour faire baisser la facture ? Faut-il que le ministère de l’Education nationale contrôle davantage ces absences ?

Quand on n’est pas motivé on se rend malade. Il faut comprendre qu’aujourd’hui les conditions de travail dans lesquels on enseigne sont inhumaines. Les professeurs sont extraordinaires de ne pas être plus absents que ça.Prenons les choses dans l’ordre. Ce n’est pas possible que 5% du temps de travail soit perdu par l’absence des élèves. Leur absentéisme monte à 9% dans certaines classes de lycées professionnels.

Selon vous, entre Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye, le contribuable y perd ou y gagne ?

Ça ne changera rien. La différence n’est pas là. La différence est de savoir si on donne de l’autonomie aux établissements. C’est cela qui fera la différence. De toute manière ce n’est pas le ministère de l’Education nationale qui décide de ces choses-là mais bien le ministère des Finances.

Bercy a tout pouvoir ?

Eh bien oui, comme toujours.

Voici le coût annuel pour l’Etat de la scolarité d’un élève : pour la maternelle 7 100 euros, pour le primaire 6 940 euros, pour le collège 8 700 euros et pour le lycée 11 300 euros. L’addition est plus salée pour les classes préparatoires aux grandes écoles : 15 710€ par élève. Ces chiffres intéressants peuvent être mis en parallèle avec une étude de l’IFRAP qui montre qu’à résultats égaux, l’école publique coûte plus cher que l’école privée. Comment expliquer cela ?

C’est une question de responsabilisation. C’est comme cela dans toutes les structures publiques. Quand ce n’est pas votre argent, vous faites beaucoup moins attention. Il y a aussi le fait que les écoles privées sont aujourd’hui plus chargées en élèves que les écoles publiques.

En moyenne, il va y voir 3 ou 4 élèves de plus par niveau dans le privé que dans le public. Le gaspillage est dans tous les à-côtés : la nourriture, le transport scolaire, les réparations des dégradations. Les chiffres que vous avez donnés sont ceux de la dépense intérieure pour l’éducation donc ils intègrent également tout ce qui est payé par les collectivités locales. Aujourd’hui 23% de la dépense intérieure éducation est payée par les collectivités locales. C’est de plus en plus important. Les collectivités locales payent de plus en plus sans avoir aucune décision sur ce qui est enseigné.

Renforcer le poids en termes pédagogique des collectivités locales peut être une bonne chose dans cette notion de développement de l’autonomie des établissements que vous souhaitez ?

Non, il ne faut pas que tout le monde décide. Il faut que ce soit décidé au niveau de l’établissement. Vous savez en Grande-Bretagne il y a eu de grandes réformes. Il y a eu les free schools. Ce sont des écoles qui justement ont décidé de se débarrasser du pouvoir et des élus locaux de manière à décider tout à l’échelle de l’établissement avec un financement public et national. Si c’est pour être suradministré au niveau national et finalement se retrouver sur administré pédagogiquement au niveau des collectivités locales, on ira d’un mal à un autre. Le pouvoir pédagogique ce sont bien les professeurs qui doivent se coordonner avec le directeur en tant qu’animateur et capitaine du bateau pédagogique. Ça ne doit pas passer par le pouvoir politique qu’il soit local ou national.

Une réforme dont on entend beaucoup parler est celle qui introduit le chèque-éducation qui a été mis en place en Suède. Qu’en pensez-vous ?

Le chèque-éducation, c’est l’idée que les gens doivent pouvoir choisir entre le public et le privé sans considération financière. Ça veut dire que l’argent va payer l’école que le choix soit public ou privé. C’est donc inodore et incolore à tel point qu’en Suède les gens ne savent même plus si l’école de leurs enfants est publique ou privée.

Le contribuable lambda paye des impôts et peut décider via cette réforme du chèque-éducation du choix de l’école. En soi cela répond à la question « Où vont mes impôts ? »

Oui, alors qu’en fait, quand on regarde la situation en France, vous payez le public alors que vous pensez que c’est gratuit. Vous choisissez le privé, vous allez payer une partie mais l’essentiel sera payé par le contribuable. Vous choisissez l’école indépendante, l’argent sortira directement de votre poche sachant qu’en tant que contribuables vous allez aussi payer pour le public, pour le sous-contrat mais aussi les cours de soutien défiscalisés à 50%. Il y a pas du tout d’égalité entre les citoyens selon le système que celui-ci choisit. La seule version que l’Etat assume, c’est le public. Et ce n’est pas un vrai choix car dans beaucoup de pays on considère que le citoyen a le droit de choisir l’école qui convient à ses enfants, c’est son droit démocratique. Il est temps de faire cette révolution culturelle, de rendre le pouvoir aux parents.

Qu’en est-il du développement des écoles indépendantes ? Je crois qu’il y a une loi non dite qui bloque l’enseignement privé à 20% de l’ensemble des élèves…

En France il y a en effet une loi non dite qui depuis 1985 essaie de bloquer à 20% le nombre d’élèves scolarisés dans le sous contrat. L’Etat organise une pénurie pour que les gens ne puissent pas faire leur choix alors que 60% des parents voudraient mettre leurs enfants dans le privé. Il y a 20% de gens qui par leur réseau social, leur argent et leur adresse peuvent mettre leurs enfants dans le privé sous contrat. Et à côté de cela, il y a une soupape de liberté qui est la création de nouveaux établissements qui sont complètement indépendants et qui sont en très forte croissance. C’est le seul secteur éducatif en croissance aujourd’hui. C’est difficile de recruter les meilleurs professeurs surtout que nous les payons de notre poche. On investit car on sait que la richesse d’une école ce sont bien les enseignants. Les locaux sont fragiles, il n’y a pas d’à-côtés, pas d’activités diverses, pas de cantine pour mettre le paquet dans le recrutement de professeurs de qualité.

Combien y a-t-il d’écoles indépendantes en France ?

On en compte à peu près 1 800. 90 000 élèves y sont scolarisés.

En 2015, vous avez rédigé une tribune pour le Figaro Vox dans laquelle vous parlez des zones d’ombre des écoles sous contrat musulmanes. Vous dites que, sans le savoir, le contribuable paye des écoles rattachées au fondamentalisme islamique notamment aux frères musulmans.

Lorsqu’il y a eu la loi sur le séparatisme on m’a dit : « Oui vous comprenez il faut beaucoup plus verrouiller les écoles indépendantes car il pourrait y avoir des écoles islamistes ». Il est important de préciser que les écoles islamistes doivent être fermées par l’Etat si elles sont un troubleà l’ordre public. La seconde chose, c’est qu’il y a très peu d’écoles musulmanes indépendantes. Il y a à peu près cinq écoles privées sous contrat musulmanes. Trois de ces écoles appartiennent à la FNEM qui est l’émanation de l’UOIF et qui est devenue Musulmans de France. Elle correspond à la branche française des Musulmans de France et donc des Frères musulmans. La situation est cocasse car on a Manuel Valls qui disait qu’il fallait nommer l’ennemi, à savoir les frères musulmans, et qui dans un même temps était présent à l’inauguration de l’école Ibn Khaldoun à Marseille.

Et les politiques ne disent rien sur ces écoles-là ?

Ça fait partie des inconséquences. Soit on considère qu’être frériste c’est un problème donc on ferme ces écoles, soit on considère qu’être rattaché aux Frères musulmans n’est pas un problème et dans ce cas là je ne vois pas pourquoi il faut réfréner des écoles. Il y a un problème de clarification politique qui concerne le niveau politique. Il ne faut pas prendre les Français pour des andouilles en leur disant que les écoles indépendantes sont la lie de l’islamisme tout en ne voyant pas que les écoles indépendantes sont à 80% non confessionnelles. Les écoles indépendantes musulmanes ne représentent même pas 1% de la totalité de ces écoles et elles sont en très faible progression. Le problème doit être traité là où il se trouve.

Pap Ndiaye a placé ses enfants à l’école Alsacienne. Ça en dit long sur le manque de clairvoyance des politiques sur l’école publique ?

Justement ils sont très clairvoyants ! Ils savent très bien dans quel état est l’école publique à tel point qu’ils n’y mettent pas leurs enfants. Je crois qu’il faut regarder cette chose incroyable en face : on a un président de la République qui a un discours très libéral et qui choisit ensuite un ministre Pap Ndiaye qui lui-même met ses enfants dans une école qui est celle du show biz. Cette école de l’entre-soi a tout d’une école indépendante mais elle est payée par le contribuable. Ces personnes-là prêchent pour l’école publique mais n’y mettent pas les pieds. Il y a une hypocrisie qu’il faut creuser et un abcès qu’il faut percer.

Selon vous, quelle est la pire dépense de l’Etat en termes d'éducation ?

La pire dépense de l’Etat est d’avoir 300 000 personnes qui suradministrent et paralysent le système général. Arrêtons avec tout ce personnel administratif qui fait crouler sous la paperasse les professeurs. Ces derniers ont besoin de soutien, de solidarité et d’être devant leurs élèves. Là ils retrouveront le goût de l’enseignement.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Leon et Adélaïde Barba

L'association "Créer son école" a pour but de vous permettre de créer votre propre école indépendante, que vous pourrez organiser entièrement selon les besoins. 

 

Retrouvez ci-dessous un autre entretien avec Anne Coffinier réalisé en avril 2022

Publié le jeudi, 27 octobre 2022

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