L’idée peut paraître saugrenue mais cette taxation a existé en France jusqu’en 1965.
Aujourd’hui, c’est même l’article 15 du Code général des impôts qui garantit l’exonération en énonçant, à titre d’ « exemption permanente » que « les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu ».
Comme si, en l’absence de ce texte, un loyer fictif serait imposable chez tout propriétaire jouissant de son logement. Or, nombre d’immeubles autres que des logements (garage, boutique, terrain etc.) sont utilisés par les propriétaires sans que, Dieu merci, l’Etat leur réclame un impôt sur loyer fictif et sans qu’un texte prévoie une telle exonération.
La disposition est donc en elle-même une aberration en posant une présomption de revenus là où il n’y en a pas, mais témoigne aussi de la prudence à adopter face à l’ardeur de certains taxeurs à tout prix.
En effet, tel le Monstre du Loch Ness, le débat sur les « loyers implicites » revient régulièrement sur le devant de la scène, au gré d’études de chercheurs en mal de trouvailles.
France Stratégie proposait déjà leur retour dans une note publiée en décembre 2016.
A présent, ce sont deux jeunes chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques qui reprennent l’idée dans une étude publiée par l’INSEE.
Ils justifient une taxation par le fait que l’absence de taxation constituerait une subvention déguisée au profit des foyers fiscaux les plus riches que sont les propriétaires.
Ils estiment la perte de recettes fiscales entre 9 et 11 milliards d’euros (le Conseil des prélèvements obligatoires va même jusqu’à 15 milliards dans son dernier rapport…).
Pour tenter de faire passer le message, ils proposent que la taxation des loyers implicites remplace la taxe foncière affublée de valeurs locatives obsolètes, prévoyant un gain final pour les finances publiques de 4 milliards d’euros.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que seul un loyer net est imposable, c’est-à-dire après déduction des charges.
Autrement dit, le propriétaire pourrait déduire de son loyer fictif ses dépenses de travaux dans son logement, sa taxe foncière et évidemment les intérêts d’emprunt pour les accédants.
Quand on sait qu’un propriétaire dépensera toujours plus pour son propre logement que pour celui de ses locataires (ainsi va la nature humaine…), on peut se demander si nombre de propriétaires n’en viendraient pas à constater un déficit foncier.
Ce qui d’ailleurs conduit à se demander si la mesure ne serait pas finalement profitable à beaucoup de contribuables…
On peut aussi s’interroger sur la manière dont serait alors déterminé le fameux loyer fictif.
Autant un loyer perçu d’un locataire est incontestable, autant un loyer théorique sera forcément sujet à caution.
Si on retient les valeurs locatives cadastrales, cela revient souvent à taxer autant voire davantage le propriétaire de la Creuse ou de Seine-Saint-Denis que celui des villes huppées puisque les critères de détermination de la valeur locative cadastrale sont à ce jour totalement déconnectés du marché immobilier ou… locatif.
Et si on veut se baser sur la valeur locative réelle, comment la déterminer puisque rien n’est aussi différent que deux logements (confort, état, étage, emplacement, nuisance etc.), même à surface égale. Quand on sait déjà à quel point la déduction des charges ou tout simplement l’évaluation d’un immeuble pour l’IFI ou les droits de succession est source de contentieux, on peut imaginer ce que sera la recherche du loyer perdu.
Se poserait en outre la question de la résidence secondaire : faudra-t-il imposer un loyer fictif annuel ou un loyer fictif saisonnier ?
En poussant le raisonnement à l’absurde, on peut se demander pourquoi ne pas taxer toute la propriété : la voiture, le bateau, les meubles, les autres immeubles etc.
On parviendrait ainsi à la taxation forfaitaire des signes extérieurs de richesse souhaitée par certains idéologues pour qui la propriété est forcément néfaste.
Pourtant, si la taxe fut supprimée à l’époque, c’était officiellement pour favoriser l’accession à la propriété. Réintroduire la taxe sur les loyers implicites ne pourrait donc être interprété que comme un obstacle à l’accession à la propriété.
Autrement dit, les plus riches seront effectivement moins riches mais les plus pauvres ne seront pas pour autant moins pauvres puisqu’on bloquera leur accès à la propriété qui est seule source d’enrichissement.
Cela dit, n’est-ce pas en réalité parce qu’une telle taxation ne rapporte rien du fait de la déduction des charges qu’elle implique que l’Etat finit par la supprimer et que le candidat Macron lui-même, pourtant grand pourfendeur de la rente immobilière, promit de ne pas la rétablir ?
D’ailleurs, le conseil des prélèvements obligatoires déconseille lui aussi de remettre en place les loyers imputés, invoquant « la faible acceptation, voire l’incompréhension de la population » et l’OCDE tient pour sa part le même discours au regard des difficultés d’ordre « conceptuel, administratif et politique » que pose le principe de taxation du loyer fictif.
Position qui fait même consensus au sein de l’organisation puisque seuls trois pays (Danemark, Pays-Bas et Suisse) sur trente-huit ont maintenu une taxation, et encore de manière atténuée.
Pourquoi donc remettre le sujet sur la table ? Enterrons-le plutôt définitivement.
D’autant que le droit de propriété étant un droit constitutionnel, il ne saurait être restreint. Or, imposer un propriétaire sur un loyer implicite revient à en faire un locataire de l’Etat.
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