La France a de nombreux atouts. Il lui en manque un : des dirigeants politiques courageux, ne craignant pas d’appliquer à leur pays les réformes qui ont fait leurs preuves non seulement en Allemagne, mais dans six autres pays développés.
Ceux-ci ont réussi en quelques années à baisser leurs dépenses publiques de plus de 10 % de leur PIB.
De nombreuses grandes entreprises françaises sont en concurrence, dans leur domaine d’activité, avec une grande entreprise allemande : pour Air liquide, c’est Linde ; pour Sanofi, Merck et Bayer ; pour Valeo, Bosch ; pour Michelin, Continental ; pour l’Oréal, Beiersdorf ; pour le chimiste Solvay, BASF ; pour Schneider, Legrand et Alstom, c’est Siemens.
Nos constructeurs d’automobiles sont également en concurrence avec les Allemands. Dans les services, pour AXA, le concurrent principal est l’allemand Allianz ; pour Scor, Munich Re ; pour Air France, Lufthansa ; pour Dassault Systèmes, SAP. Il en est de même pour les entreprises moyennes.
Il n’y a pas de concurrence franco-allemande dans la machine-outil, où les Allemands ont balayé les Français, ni dans les produits de luxe, le pétrole, les sous-traitants du pétrole, la banque, les parfums où les Français dépassent les Allemands, ni dans les industries de main d’œuvre comme le jouet, la chaussure, une grande partie du textile, où l’Asie a supplanté l’Europe.
Dans les travaux publics, l’hôtellerie, la restauration collective, la publicité, le conseil et les services informatiques, les entreprises vendent, principalement à l’étranger, des services rendus par une main d’œuvre recrutée localement. Dans ces secteurs, les charges sur les entreprises sont principalement les charges locales, et les entreprises françaises dominent les allemandes.
Ces exceptions confirment une règle qui est générale dans l’industrie et répandue dans les services : pour une entreprise française, grande ou moyenne, le principal concurrent est allemand et dans cette concurrence, le prix de revient est déterminant.
Seuls ceux qui n’ont rien vendu à un client peuvent affirmer que les Français sont souvent perdants parce qu’ils ont choisi le bas de gamme. En réalité, pour être compétitif, il faut avoir des prix de revient proches de ceux de ses concurrents.
Or, dans les prix de revient les impôts et les charges sociales patronales sur les salaires pèsent de façon décisive. D’après toutes les études, celles de la Cour des comptes, de la direction des entreprises au ministère des Finances, de sociétés d’étude comme Rexecode, les entreprises françaises, si elles étaient soumises aux mêmes taux que les entreprises allemandes, verseraient chaque année des charges fiscales et sociales inférieures d’environ 200 milliards d’euros, ou 9 % du PIB.
Cette différence suffit à expliquer l’insuffisante compétitivité des entreprises françaises, qui se traduit par un solde négatif du commerce extérieur (près de 2 % du PIB), alors que l’allemand est positif de 7,5 % du PIB, par le fait que 76 % des Allemands d’âge actif ont un emploi contre 66 % des Français, que le taux de chômage allemand est de 3,2 % contre 8,8 % en France, que le déficit des finances publiques est de 3 % du PIB en France contre un excédent de 3 % en Allemagne, que la dette publique allemande est passée de 80 à 60 % du PIB alors que la française est de 99 %, que les marges bénéficiaires des entreprises sont supérieures en Allemagne, que le niveau de vie moyen allemand est supérieur au français de 15 % à 19 % et que dans les enquêtes sur le bonheur, l’Allemagne est 16e et la France 32e.
Pour l’indicateur de développement humain de l’ONU, l’Allemagne est 13e et la France 36e.
Ne cherchons pas midi à quatorze heures : la cause principale de la faiblesse française est dans le niveau des charges versées par les entreprises, dû au niveau des dépenses publiques.
Une analyse détaillée des unes et des autres est nécessaire, pour en déduire les réformes qui rendraient sa compétitivité à notre pays.
Mais auparavant il faut répondre à ceux qui disent que comparaison n’est pas raison, et que les deux pays sont tellement différents qu’une comparaison n’a pas de sens.
Les différences sont effectivement importantes. Hors immigration, la population allemande n’est pas en croissance puisque chaque femme allemande ne donne le jour qu’à 1,6 enfant, contre 1,9 pour la française. La proportion d’enfants dans la population y est plus faible.
A population égale, la France a 3 millions d’enfants d’âge scolaire de plus que l’Allemagne. Les dépenses d’enseignement et les allocations familiales doivent donc y être plus élevées. La proportion de personnes âgées est plus forte en Allemagne, ce qui devrait accroître les dépenses allemandes pour les retraites et la santé.
Du fait du taux de chômage inférieur en Allemagne, les femmes y travaillent plus, et souvent elles choisissent le temps partiel (60 % des travailleurs allemands à temps partiel l’ont choisi).
En Allemagne, l’âge légal de départ à la retraite est de 65 ans et 7 mois. Il passera progressivement à 67 ans dans dix ans.
Ainsi l’âge réel de départ en retraite est-il supérieur de trois ans en Allemagne à celui de la France.
Les Allemands n’ont pas de régimes spéciaux de retraite et depuis 2002 ils peuvent souscrire à une retraite par capitalisation défiscalisée et subventionnée, qui a été choisie par plus de 40 % des ménages.
Ils ne connaissent pas la semaine de 35 heures. L’absentéisme dans la fonction publique y est inférieur au français. La plupart de leurs fonctionnaires travaillent 40 heures par semaine et leurs enseignants sont présents à temps plein dans leur école (43 heures par semaine dans le secondaire). L’apprentissage y est plus répandu qu’en France.
Une partie des hôpitaux et la moitié des HLM ont été privatisés. Les tarifs de remboursement des actes médicaux sont dans le secteur privé identiques à ceux du public.
A l’inverse, les écoles privées y sont moins importantes qu’en France (sauf pour les maternelles), et, à la différence de la France, les autoroutes y sont publiques, comme la distribution d’eau et l’assainissement, et la plupart des maisons de retraite.
L’Allemagne est un Etat fédéral dont les Etats fédérés, les Länder, ont des compétences très importantes, déchargeant l’Etat central de l’éducation, de la police, de la culture, du sport.
Après Fukushima, la Chancelière Angela Merkel a réduit la part du nucléaire dans la production d’électricité allemande, ce qui a augmenté le coût du kilowatt-heure.
Enfin la France est un pays plus attractif que l’Allemagne pour les touristes étrangers. Les Allemands n’ont-ils pas un dicton : « Heureux comme Dieu en France » ?
La culture économique des Allemands est différente. Ils croient plus que les Français aux vertus de l’économie de marché et moins à l’étatisme. Ils pensent, comme Peter Hartz, l’ancien directeur du personnel de Volkswagen et l’inspirateur des réformes de Gerhard Schröder, qu’il vaut mieux avoir un petit job que pas de job.
Les Allemands n’aiment pas la dette, Schuld en allemand, mot qui se traduit aussi par « faute ». Les entreprises exportatrices y ont un poids beaucoup plus important qu’en France. Leur influence sur la presse, l’opinion publique et la politique rend les Allemands plus favorables au libre-échange.
Le système fiscal allemand est plus simple que le français : 55 impôts contre près de 400.
Les impôts perçus sur les entreprises par les collectivités locales y sont assis sur les bénéfices des entreprises. Les intérêts des élus sont ainsi liés à ceux des entreprises, ce qui incite à réduire les charges sur les entreprises.
Certains prétendent que les inégalités sont plus grandes en Allemagne car il y aurait plus de travailleurs pauvres. D’après Eurostat, 9,7 % des travailleurs allemands sont pauvres contre 7,5 % pour les français.
Mais l’OCDE a corrigé ces chiffres, qui ne tiennent pas compte du fait que les ménages allemands comptent moins d’enfants (ce qui augmente le revenu par personne) et que les femmes allemandes, dont le taux de chômage est plus faible, travaillent donc plus, apportant un deuxième revenu au ménage. Les chiffres de travailleurs pauvres publiés par l’OCDE sont ainsi de 3,7 % des ménages pour l’Allemagne et 7,1 % pour la France.
De plus ces chiffres ignorent que le niveau de vie moyen allemand est supérieur au français, si bien que la limite de revenu définissant la pauvreté est plus élevée en Allemagne qu’en France.
Les différences entre la France et l’Allemagne sont donc importantes, mais n’autorisent pas à refuser un examen approfondi des différences de charges sur les entreprises.
En Allemagne, il n’y a pas de taxe professionnelle [maintenant appelée en France CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) et CFE (cotisation foncière des entreprises) (21,5 milliards d’euros collectés en 2017], ni de taxe d’apprentissage (0,68 % des salaires versés en France).
Il n’y a pas non plus de taxe sur les salaires (13,5 milliards d’euros), et les taux de la taxe foncière et de l’impôt sur les bénéfices sont inférieurs.
En mars 2011, la Cour des comptes avait chiffré à 3 % du PIB la différence d’impôts sur les entreprises entre la France et l’Allemagne. En l’absence d’actualisation, nous gardons ce chiffre.
Certaines charges sociales sur les salaires n’existent pas en Allemagne : pour la formation (1,6 % des salaires brut), le logement (0,1 %), les transports (8,7 milliards d’euros), la C3S – contribution sociale de solidarité des sociétés (environ 6 milliards d’euros).
Les autres charges sociales y sont inférieures : de 5,7 % du salaire brut pour l’assurance maladie, de 5,9 % pour la retraite (pour la 1re tranche de salaire pour les non-cadres, et plus pour les autres tranches et pour les cadres), de 5,25 % pour les allocations familiales, de 2,5 % pour l’assurance-chômage.
Pour un salaire moyen la différence est donc d’au moins 19,4 % du salaire brut, les charges patronales françaises sur les salaires étant ainsi environ le double des charges patronales allemandes.
Les bas salaires français ont des charges réduites : les salaires inférieurs à 1,6 SMIC bénéficient des « allègements Fillon » et, depuis le 1er janvier 2019, ceux inférieurs à 2,5 SMIC bénéficient de la conversion du CICE en allègement de 6 % des cotisations patronales.
Vu la complexité du calcul des cotisations patronales françaises, la différence avec l’Allemagne est difficile à calculer.
Cependant, en 2016, les cotisations sociales patronales françaises étaient de 316 milliards d’euros, soit 14 % du PIB ou 36,6 % des salaires brut. La différence avec l’Allemagne est donc sans doute supérieure à 6 % du PIB.
Pour équilibrer leurs comptes avec des charges inférieures sur les entreprises, les Allemands ont réduit leurs dépenses publiques, qui sont inférieures de 12,6 % du PIB aux françaises. Les différences les plus significatives sont dans la rémunération globale des fonctionnaires, inférieure de 5,6 % du PIB, et le coût des retraites (4 % du PIB).
Les autres différences importantes sont dans les intérêts de la dette (0,8 % du PIB), le logement (0,8 %), la défense (0,9 %), la famille (0,7 %) et l’indemnisation du chômage (0,3 % du PIB).
Les rémunérations publiques françaises sont plus importantes car la France a environ 7 millions de fonctionnaires : 5,6 millions de fonctionnaires stricto sensu auxquels il faut ajouter les enseignants du privé, le personnel des universités, du CNRS, de Pôle emploi, de la Sécurité sociale, de La Poste, de la Caisse des dépôts, des autres opérateurs de l’Etat, des associations à financement majoritairement public, etc.
L’Allemagne n’a que 4,6 millions de fonctionnaires.
Pour être à égalité avec l’Allemagne, nous devrions en avoir 4,6 millions X 67/83 = 3,7 millions soit 3,3 millions de moins. La différence est considérable.
Elle s’explique en partie par le temps de travail des fonctionnaires français, plus court dans la semaine, dans l’année et dans la vie avant la retraite, soit inférieur d’environ 30 % à celui des Allemands.
Pour y remédier, il faudrait aligner les horaires et retraites de nos fonctionnaires sur ceux des Allemands. Avec plus de temps de travail, on pourrait alors réduire les effectifs.
D’après l’INSEE, la France embauche chaque année 400 000 fonctionnaires, en tenant compte des renouvellements de contrats pour les fonctionnaires sous contrat.
Un gel des embauches, comme l’ont fait les Anglais et les Italiens, s’il était poursuivi pendant plusieurs années, rapprocherait nos effectifs de ceux des Allemands.
La méthode italienne était politiquement habile : le gel n’était pas total, les exceptions devant être autorisées par un ministre spécialement désigné à cet effet.
Quant à l’alignement du coût des retraites sur celui de l’Allemagne, la réforme des retraites actuellement en discussion en France devrait en principe le permettre. Laissez-nous en rêver.
Eric Woerth écrivait ceci en 2015 dans son livre Une crise devenue française : « La convergence fiscale franco-allemande est plus que jamais une exigence ». En l’absence de cette convergence, l’écart entre la France et l’Allemagne risque de se creuser, et l’euro pourrait être menacé. L’Europe elle-même pourrait se séparer en deux, entre un Nord prospère et un Sud déclinant.
Le décrochage de la France peut être situé en 2005, après la mise en place des réformes Schröder en Allemagne.
Auparavant, la France avait un taux de chômage inférieur jusqu’à deux points à celui de l’Allemagne, un taux de croissance supérieur de près de 1% l’an à celui de l’Allemagne. Si l’on remonte plus en arrière, de 1960 à 2005, en 45 ans, il n’y a eu qu’une année sur cinq où la croissance française a été inférieure à celle de l’Allemagne.
La France avait donc, et a toujours, de nombreux atouts. Il lui en manque un : des dirigeants politiques courageux, ne craignant pas d’appliquer à leur pays les réformes qui ont fait leurs preuves non seulement en Allemagne, mais dans six autres pays développés qui ont réussi en quelques années à baisser leurs dépenses publiques de plus de 10 % de leur PIB.
Le sort de notre pays n’est pas scellé. Les moyens de redresser notre économie sont connus, et pas si difficiles à mettre en œuvre. Pour qu’ils le soient, nous devons faire connaître la vérité à nos compatriotes. Alors la vérité guidera le monde, et en premier notre pays et ses dirigeants.
Alain Mathieu, président d’honneur de Contribuables Associés
Assurez-vous d'entrer toutes les informations requises, indiquées par un astérisque (*). Le code HTML n'est pas autorisé.