Les chances du référendum d’initiative citoyenne (RIC), la principale revendication des gilets jaunes non encore satisfaite, ne sont pas nulles.
En effet, la Constitution le prévoit : « Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi ».
Emmanuel Macron l’a annoncé dans son discours inaugural le 14 mai 2017 : « Les citoyens auront voix au chapitre ». Le Premier ministre l’a déclaré récemment : « Je ne vois pas comment on peut être contre son principe. Le référendum peut être un bon instrument, un bon sujet de débat ».
72 % des Français le soutiennent, car ils savent que le RIC n’a rien à voir avec un référendum lancé par le gouvernement, qui ressemble à un plébiscite, et auquel les électeurs répondent non sur la question posée mais en fonction de leur opinion sur celui qui la pose. De nombreux dirigeants politiques y sont favorables : Benoit Hamon, François Bayrou, Ségolène Royal, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon. Une seule exception notoire : Laurent Wauquiez. Et pourtant le RIC figurait déjà au programme électoral du RPR en 1993, et Laurent Wauquiez a soutenu en 2008 une sorte de RIC, un RIC partagé entre le peuple et les parlementaires, que Nicolas Sarkozy a fait inscrire dans la Constitution.
A l'étranger le ric fonctionne déjà !
Neuf pays européens le pratiquent avec succès : la Suisse, l’Italie, l’Allemagne, la Croatie, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie, et deux Etats baltes. Les Suisses se déclarent à 80 % satisfaits de son fonctionnement. Aux élections américaines du 4 novembre 2018, 155 référendums ont été organisés dans 36 Etats, à la satisfaction générale.
Le RIC prouve qu’un pays est réellement démocratique, si l’on en croit la définition de Montesquieu : il permet que le pouvoir (du peuple souverain) arrête le pouvoir (de ceux qui veulent l’exercer en son nom).
Depuis 1789, notre pays a connu 17 révolutions, qui entretiennent l’idée dans le monde entier qu’il est peu gouvernable. Avec le RIC les contestations populaires seraient moins probables car il supprimerait le fossé creusé entre les citoyens et un pouvoir assis sur une majorité parlementaire qui ne le contrôle pas, elle-même sous les ordres d’une administration trop puissante.
Le RIC partagé de Nicolas Sarkozy n’a pas été pratiqué et n’a aucune chance de l’être : l’initiative en revient à 185 parlementaires ; il faut la signature de 4,5 millions de citoyens pour l’organiser ; si les chambres l’«examinent », le référendum n’a pas lieu ; les sujets qu’il peut traiter sont limités.
Quelles sont les raisons du succès du RIC à l'étranger ?
Les points qui illustrent sa pertinence dans les démocraties concernées sont les suivants :
- Il concerne tous les niveaux d’administration : nation, provinces ou régions, départements, communes, communautés de communes.
- Son objet doit être l’abrogation d’une loi votée, ou la proposition d’une loi nouvelle, ou la révocation d’un élu assortie obligatoirement de son remplacement (c’est ainsi qu’Arnold Schwarzenegger est devenu gouverneur de Californie), ou une décision relevant de l’exécutif.
- La décision du peuple doit être souveraine, et ne peut être remise en question par une Assemblée ou un quelconque Conseil Constitutionnel. Quand le référendum a été voté, son application doit être rapide.
- L’objet du référendum ne doit pas être limité. Toutes les décisions relevant de la compétence d’une assemblée ou d’un pouvoir exécutif doivent pouvoir être soumises au référendum.
- Pour que le débat qui précède le vote soit aussi clair que possible, un contre-projet (de citoyens ou d’une assemblée, ou d’un pouvoir exécutif) doit pouvoir être présenté au vote des électeurs.
- Le nombre de signatures nécessaires pour rendre le référendum obligatoire doit être limité : de l’ordre de 1% du corps électoral (soit environ 500.000 pour la France), comme en Italie, en Suisse (il est même de 0,5 % dans ce pays pour certains référendums). Le traité de Lisbonne prévoit que la signature de 0,3 % des citoyens européens est suffisante pour présenter un projet.
- Les délais prévus pour la collecte des signatures doivent être suffisants (18 mois en Suisse), et les délais de la campagne assez longs pour que le débat ait lieu, mais pas trop longs, par exemple deux ans. Ces délais permettent aux électeurs de recevoir une documentation précise et objective, commentée par la presse, sur les choix qui leur sont proposés.
- Le projet doit pouvoir être rédigé en termes juridiques ou non. Les Suisses parlent de « projets rédigés » et de « projets conçus en termes généraux ». Dans ce deuxième cas, une assemblée peut en préciser les termes.
- Le vote doit pouvoir être recueilli sous forme électronique, et les arguments disponibles sur Internet. La loi organique concernant l’application du RIC partagé de 2008 le prévoit : « le soutien est recueilli sous forme électronique ».
- Les dates des votes sont regroupées : en Suisse, quatre dimanches par an ; aux Etats-Unis, le deuxième mardi de novembre tous les deux ans, plus éventuellement une autre date chaque année.
Ces conditions nécessaires au succès devraient être inscrites dans une loi constitutionnelle. Ce progrès démocratique apporterait alors une paix sociale durable, une baisse des dépenses publiques, des impôts et de la dette – car le RIC freine les élans dépensiers des élus – et donc une plus grande prospérité au pays. La Suisse a un taux de dépenses publiques inférieur de 30 %, et un niveau de vie nettement supérieur, à ceux de l’Autriche, un pays très comparable qui ne connait pas le RIC.
Pourquoi craindre alors que le ric soit enterré dans notre pays?
Les sceptiques diront que celui-ci pourrait remettre en question les pouvoirs des administrations et des élus et que l’opposition ne serait pas directe. Diverses objections sont d’ailleurs mises en avant, parmi lesquelles :
- « Le risque d’un engouement démagogique » : retour possible de la peine de mort, de la torture pour les terroristes, ou de l’impôt sur la fortune. Si ce risque existe, l’expérience montre que les peuples sont moins sensibles à la démagogie qu’on ne le croit : les Italiens ont refusé l’échelle mobile des salaires et ont fermé deux ministères ; les Américains ont refusé le contrôle des loyers, des impôts sur les riches pour financer des écoles ; les Suisses ont refusé des congés supplémentaires, un salaire minimum, la baisse de l’âge de la retraite, un impôt sur les riches, etc. L’objection d’un risque démagogique naît d’un mépris du peuple, qui connaîtrait moins bien que les « élites » ce qui lui convient.
- « Les Français ne sont pas des Suisses ». C’est incontestable. Les Suisses ne sont pas autant que les Français envieux de leurs riches. Ils ne sont pas soumis depuis leur plus tendre enfance à une intense propagande égalitariste et anti-patrons. Leur formation professionnelle et économique est meilleure que la française. Sont-ce des raisons suffisantes pour renoncer aux avantages du RIC ? Les Français seraient-ils incapables de comprendre qu’un dispositif qui marche à l’étranger peut un jour aussi marcher chez eux, après avoir été acclimaté, notamment en commençant avec des référendums locaux portant sur des sujets proches des citoyens ?
- « Les lobbies seront trop influents » ? Ils le sont pourtant moins auprès des électeurs qu’auprès des élus.
Un RIC en demi-teinte ?
Attendons-nous donc à une réaction de défense de la classe politique et administrative. Edouard Philippe a déclaré qu’il était pour le principe du RIC mais « pas sur n’importe quel sujet et dans n’importe quelle condition ». Tous les sujets ne seront pas acceptés. La révocation des élus ne le sera sans doute pas (les élus en sont trop inquiets). Le contrôle de constitutionnalité sera rendu obligatoire, comme si la souveraineté du peuple passait après celle d’un Conseil. Pourtant en Suisse le Contrôle constitutionnel n’existe pas et les RIC changent les Constitutions (fédérale, cantonale ou locale). Pour les Américains il n’y a pas de sujet tabou.
Attendons-nous à l’application d’un principe bien connu : la politique est l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les concerne. Le débat sur le RIC mérite d’être lancé. Mais un véritable RIC n’en sortira pas.
Alain Mathieu, Président d’honneur de Contribuables Associés.