Voilà des années que nous parlons du problème de la dette publique. Nous avions déjà publié une étude à ce sujet il y a près d'une décennie (nous avons réitéré en 2020), et nous nous sommes insurgés contre l'endettement de la France lorsque des mesures anti COVID inefficaces ont été prises sans le moindre discernement.
Du coup, fatalement, notre volubile community manager poste régulièrement des mèmes cyniques sur l'avenir de la France, au sujet de la dette publique.
Si certaines personnes en rient volontiers, si d'autres regardent la chose d'un oeil que nous estimons plutôt lucide, certains s'en donnent à coeur joie en nous envoyant une vidéo d'un youtubeur célèbre pour sa barbe bien taillée, sa pédagogie façon dialogues socratiques au sujet de l'économie, et sa position doigt-collés
Il s'agit, vous l'aurez reconnu, de Gilles Mitteau, créateur de la chaîne « Heu?reka », dont la chaîne traite de finance et d'économie.
Celui-ci est très populaire auprès des milieux les plus étatistes, et de journaux tels que l'Obs, qui lui a consacré un article, pour une raison assez simple : son passif d'ancien vendeur en salles des marchés en fait une figure de proue idéale. Pensez-donc : c'est un repenti, et s'il a écumé ce milieu, les critiques qu'il peut en faire et les positions politiques qu'il a au sujet de l'économie ne peuvent être que légitimes...
Ce raisonnement est bien évidemment fallacieux : quitter le monde de la bourse n'apporte pas ipso facto une légitimité pour émettre des prescriptions sur l'économie.
Notre ancien loup de la City, plein de repentance, a récemment produit une vidéo sur la dette publique et sa possible annulation, et il devient régulier de voir, à chaque post Facebook, cette vidéo pointer le bout de son nez, assortie d'un commentaire du style "Contribuables Associés, vous n'y connaissez rien, « Heu?reka » a débunké votre vidéo, la dette publique, ce n'est pas un problème"1h30 de visionnage plus tard, force est de constater que l'argumentaire de Contribuables Associés ne va pa changer d'un iota, mais manifestement, il va falloir expliquer pourquoi.Ni une, ni deux, expliquons, mes bons !
La vidéo commence par des calculs comptables au sujet de l'économie. On retiendra que des lieux communs au sujet de l'économie et de la finance sont pourfendus, notamment au sujet de notre système bancaire.
Ainsi, la personne qui visionne la vidéo apprendra que les banques privées n'accordent pas un crédit en prêtant l'argent des dépôts, mais en créant de la monnaie, chose qu'en effet, le non-initié ignore. S'en suivent tout un lot de calculs du même acabit qui sont parfaitement justes, assortis d'une petite saillie sur les gens qui ne sont pas formés en comptabilité et qui ne savent pas ce qui est énoncé dans la vidéo.
En soi, aucun problème ici : nous sommes d'accord avec les calculs énoncés.
Mais quel rapport avec la dette, en fait ? Ces affirmations n'ont pas grand chose à voir avec le reste de la vidéo. Et que d'élucubrations ensuite...
C'est en cela que le discours est intéressant et mérite qu'on s'y attarde : après tout, un discours avec des calculs erronées et des erreurs factuelles n'a de portée qu'auprès des gens qui ne vont pas vérifier l'information.
En revanche, un discours qui mélange des absurdités avec des calculs sérieux, et des éléments factuels sera plus difficile à déconstruire pour un public non-initié.
Où sont-elles, alors, ces élucubrations ?
Nous disons souvent que chaque Français nait avec environ 40 000 euros de dette sur la tête (si on rajoute la dette « hors bilan », on atteint 100 000 euros par tête de pipe !), et que la France vit au-dessus de ses moyens en votant des budgets qui ne sont pas à l'équilibre, année après année.
Notre youtubeur assène que nous disons n'importe quoi (sans nous citer nous particulièrement, d'ailleurs : nous sommes loin d'être les seuls à dire cela).
Ses justifications ? Tenez-vous bien :
1- Dans le privé, il est de bon ton de rembourser une dette, car sinon, la personne qui n'est pas remboursée est mise dans une situation délicate ; mais pas dans le public selon Gilles Mitteau, car les banques centrales possèdent la planche à billet, donc elles n'ont qu'à imprimer de l'argent.
Donnée factuelle intéressante, cela dit : effectivement, l'inflation de la masse monétaire par le truchement des banques centrales n'est pas toujours corrélée à l'augmentation des prix. ¨Pour autant, l'argument est fallacieux.
2- Les États étant immortels, on peut toujours leur prêter plus d'argent, et rembourser une dette en émettant une nouvelle dette... Car on suppose que le pays peut durer plus longtemps qu'un humain,
Diantre, avec un postulat pareil, pas étonnant qu'on ait besoin d'enfumer le spectateur pendant 20 minutes avec des calculs comptables imparables.
Répondons déjà à ces deux assertions :
1- Cet argumentaire de la planche à billets est éminemment absurde : si jamais il suffisait d'imprimer de l'argent lorsque la dette n'est pas remboursée, pourquoi les instances de décision se poseraient-elles seulement la question ? Allons, il n'y aurait qu'à imprimer de plus en plus d'argent, et ça ne poserait plus de souci à personne. Les banques centrales n'auraient absolument aucune raison de refuser, puisque, citons monsieur Mitteau : "Elles sont immortelles"...La pauvreté ? planche à billets !
La faim ? planche à billets !
Les investissements pour la fusion nucléaire et l'exploration spatiale ? Planche à billets !
S'il y a un moyen facile, sans conséquences, et disponible à volonté pour régler un problème, pourquoi ne pas s'endetter de manière illimitée ? Comment même expliquer qu'il existe des pays qui choisissent de réduire leur endettement, là où d'autres l'augmentent ? Comment expliquer qu'il existe des périodes de l'histoire où certains États ne s'endettent pas (rappelons que notre youtubeur nous dit que l'endettement national existe depuis des temps immémoriaux) ? Pourquoi nous embêtons-nous à faire diminuer la dépense publique ?
Ces questions, Gilles Mitteau n'y répond pas. Dommage, il suffit de se les poser pour que son argumentaire vole en éclats...
2- Non, les États ne sont pas immortels... D'ailleurs, Gilles Mitteau nous produit un grand écart cognitif magistral, en nous expliquant que des États en faillite, ça arrive tout le temps, preuve qu'ils ne sont pas immortels, mais que, quand même, les États sont immortels et qu'il est donc acceptable qu'un gouvernement endette ses contribuables...
Par quelle pirouette notre youtubeur va-t-il se sortir de là ? Par une narration qui contraste, dans sa naïveté, avec la finesse des propos pris hors contexte par ailleurs...
Gilles Mitteau explique régulièrement, dans ses vidéos, que dans toute description du monde, et donc dans l'économie, il y a une dose d'idéologie. Fort bien, nous sommes d'accord. Il explique également régulièrement la différence entre des mécanismes réels, et la décision qui est prise à ce sujet, qui sont des décisions politiques.
On pourrait donc attendre d'une personne manifestant une telle complexité de pensée, une narration complexe sur la géopolitique...Mais non...
Ici, la pirouette est tellement simple qu'on dirait les opinions politiques d'un adolescent élevé en ZAD éco-consciente par des parents Mélenchonistes. Nous vous la donnons en mille : en fait, dans le monde de Gilles Mitteau, si une crise économique a lieu, c'est la faute des financiers qui créent cette crise, car ils refusent de prêter aux États. La narration naïve et manichéenne est lâchée : il y a le camp du bien, et le camp du mal.
D'un côté, l'État bienveillant, nourricier, parent psychologique quasi-divin, ou en tout cas omnipotent, qui est gentil et qui protège le monde, un peu à la manière de Superman, toujours baigné de lumière et utilisant son abnégation et sa force au service du Bien commun...
De l'autre côté : les vilains financiers qui décident de ne plus prêter aux États lorsque leur dette ne semble plus remboursable...
Ces vilains financiers décident donc de créer une crise en refusant - les cuistres - de prêter à ces si gentils États qui n'ont pourtant que de bonnes intentions....Imaginez à quel point il est difficile d'écrire un article pour déconstruire un tel propos, tant il manque de substance : il n'y a pourtant pas besoin d'être un génie pour voir qu'il existe régulièrement des conflits d'intérêts structuraux au sein d'un État (pas "notre" État : tous les États, avec des mécanismes de régulation plus ou moins bien pensés pour palier à ces conflits d'intérêts).
La narrration de Gilles Mitteau tient en fait sur le postulat que l'État travaille toujours dans le sens de ses contribuables, et ne fait jamais d'erreur, et que refuser de soutenir une mauvaise stratégie est la cause d'une crise. Dans l'esprit de ce monsieur, c'est donc la finance qui est responsable de la crise. C'est un peu comme si un individu s'endettait et disait "oh, maintenant qu'on refuse de me prêter pour rembourser la dette précédente, je suis dans une mauvaise situation, c'est donc la faute des gens qui refusent de me prêter"...
Il n y'a pas non plus besoin d'être un génie pour constater qu'il y a mille et une manières de dépenser l'argent public, et d'organiser la vie politique... C'est assez simple, d'ailleurs : si les humains étaient d'accord entre eux sur le sujet, il n'y aurait pas de partis politiques aux valeurs si disparates... Corolaire : il n'y a pas de bien commun universel, et donc pas de manière irréfragable de "bien" dépenser l'argent du contribuable. Ergo : si l'on croit en la démocratie, il n'est pas légitime d'accepter que des individus n'aient pas voix au chapitre quant à l'endettement de leur nation.
Et plus grave, plus qu'une erreur, mais une faute : Gilles Mitteau nous parle du monde de la finance comme si ce secteur était détaché des États...On se croirait dans les tirades sur le capitalisme sauvage mondialisé et dérégulé...
Venant d'une personne qui a travaillé dans le secteur, et qui entend démystifier ses rouages, on ne peut que lever le sourcil d'un air circonspect quand on sait que la finance est de loin l'un des secteurs les plus régulés au monde : toute personne voulant monter une entreprise dans le secteur devra d'abord s'acquitter d'un ticket d'entrée colossal, pour payer une armée d'avocats, avant même d'accomplir la moindre action concrète sur ce secteur.
On est loin d'un secteur où il n'y a pas d'intervention étatique...
Ainsi, si les calculs comptables sont corrects, tous ces calculs ne sont basés que sur cette narration naïve qui est que l'État est intrinsèquement bienveillant et responsable dans ses stratégies. Nul besoin d'attaquer ces calculs, puisque la narration qu'ils soutiennent est inepte. Notons que cette narration permet de fort nombreux gaspillages, sans aucune culpabilité...
On retiendra aussi la savoureuse assertion que la dette ne change rien aux impôts : à en croire cette vidéo, lorsque l'État rembourse une dette en prenant l'épargne de ses citoyens, et qu'un autre État dans une situation similaire prépare légalement le terrain pour le faire, ce n'est pas un prélèvement obligatoire... A en croire cette vidéo, les postes de dépenses associés à la dette publique n'ont pas non plus d'existence (ah non ! on nous dira que ce sont les intérêts, et que donc, non, la dette ne change pas les impôts, seuls les intérêts jouent dessus... là encore, pirouette audacieuse, mais malhonnête)
Nous vous conseillons de vous faire votre propre avis sur la chaîne de Gilles Mitteau, en regardant celle-ci (et surtout n’omettez pas de consulter la nôtre ;) ) : les vidéos sont loin d'être systématiquement de cet accabit.
Pour autant, il émet régulièrement des prescriptions politiques déguisées en analyses factuelles (non sans avoir annoncé auparavant que les autres prescriptions sont "idéologiques"), teintées d'une dichotomie entre les bons et les mauvais qui ne laisse aucune place à la nuance.
Cette dichotomie simpliste, une fois mise en lumière, rend une partie des vidéos de la chaîne « Heu?reka » fort insipides.Toujours est-il qu'en ce qui nous concerne, ce n'est pas un tel argumentaire qui fera bouger la position de Contribuables Associés : chaque dépense publique, financée par l'impôt ou par la dette, a des conséquences pour les contribuables, et il est immoral de leur cracher au visage en ignorant ce que leur participation leur coûte.
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Dette publique : une bombe à retardement pour les Français. La nouvelle étude de Contribuables Associés
Points clés de notre étude
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