L'actionnariat salarié. "Le grand-père et le Président", la chronique de Xavier Fontanet. Chapitre 9

Écrit par Xavier Fontanet - Membre de l'Institut des Solutions
Xavier Fontanet © D.R.

Xavier Fontanet est essayiste, ancien directeur général des Chantiers Bénéteau et ex-président d’Essilor. Il est membre de l'Institut des Solutions. Il est notamment l’auteur de "Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation" (Les Belles Lettres). Xavier Fontanet signe pour Contribuables Associés une série de chroniques exclusives intitulées "Le grand-père et le Président". Il y livre ses recettes de bon sens pour relever la France.

La scène se passe à Paris en 2027, où une discussion s'ouvre entre un grand-père, Auguste, 90 ans et toute sa tête, et son petit-fils Antoine, qui en a 40. Auguste a vécu en province, il a fait toute sa carrière en entreprise, il dispose, du faut de son métier, d’une grande expérience internationale. Antoine, son petit-fils, lui, a vécu à Paris, a fait l’ENA et travaillé dans l’administration, puis dans les cabinets ministériels. Il est entré en politique et vient d'être élu président de la République. Il a l’habitude de demander conseil à Auguste, avec lequel il a un lien très fort. Dans ce 9e chapitre, nous les écoutons échanger sur l'actionnariat salarié qui pourrait faire évoluer le capitalisme.

(Lire le chapitre 1 "Politique générale")
(Lire le chapitre 2 "La Nouvelle-Zélande")
(Lire le chapitre 3 "Le modèle suisse")
(Lire le chapitre 4 "Le Canada")
(Lire le chapitre 5 "Frédéric Bastiat")
(Lire le chapitre 6  "L'ISF de retour ?")
  (Lire le chapitre 7 "L'art du compromis")  
 (Lire le chapitre 8 "Les idées simples à retenir des réformes canadiennes et allemandes") 

L'actionnariat salarié

Antoine

On a beaucoup parlé des rapports entre les Français, et l’entreprise, quelle idée aurais-tu pour faire évoluer les choses ?

Auguste

Pour moi, une évidence : il faut pousser l’actionnariat salarié. Une démarche qui s’inscrit dans la continuité de l'intéressement et de la participation imaginés par le général de Gaulle.

Antoine

Tu fais toujours référence à de Gaulle, c’est frappant.

Auguste

C’est vrai, sa longue expérience de la vie politique et de la guerre l’a formé à la redoutable tâche de présider un pays. Il avait compris qu’il serait d’autant plus écouté que la France serait compétitive et que la motivation du personnel était une composante clé de la compétitivité.

Antoine

C’est cette pensée qui l’avait amené à pousser l’intéressement et la participation. L’idée était de motiver les salariés en les faisant participer au résultat, c’est-à-dire à la création annuelle de valeur.

Auguste

L’actionnariat salarié, c'est le coup d'après la participation. C’est une façon de faire bénéficier les collaborateurs, non pas à la création de valeur annuelle, mais à l’augmentation de valeur capitalistique sur la longue durée. C’est beaucoup plus fort !

Antoine

D’autant que la participation au capital ouvre au personnel la porte du conseil d’administration.

Les équipes qui constituent l’entreprise méritent d’être ainsi associées à la grande stratégie, une façon de se l’approprier.

Auguste

Dans mon entreprise, j’avais installé l’actionnariat salarié, cela a transformé l’attitude des syndicats. Motivation et participation à la stratégie ce n’est pas nouveau. Napoléon prenait soin, la veille des batailles, d’aller expliquer sous leur tentes la stratégie du lendemain aux grognards, ils s’appropriaient ainsi la bataille. Clausewitz l’a reconnu à la fin de sa vie.

 Antoine

`Ça change les rapports dans l’entreprise car le patron devient responsable des économies de ses collaborateurs. Il est redevable vis-à-vis d’eux : « Dis-moi, qu’as tu fait de l’argent que je t’ai confié ? »

Auguste

C’est aussi une solution pour assurer des retraites confortables comme le montrent toutes les entreprises qui ont réussi leur actionnariat salarié.

Antoine

Pourquoi cela n’est pas plus développé ?

Auguste

J’ai été près souvent consulté sur le sujet, parfois même en haut lieu et je peux te dire que les obstacles sont nombreux.

Antoine

Qui peut être contre ?

Auguste

Les politiques ! chaque fois que j’évoquais le problème avec eux je m’entendais dire (c’est du président Sarkozy lui-même) : « Vous ne pouvez pas proposer un système ou on peut perdre à la fois son job et ses économies ».

Antoine

Les politiques sont confrontés aux faillites d’entreprise, à la limite je les comprends, mais que disent les propriétaires des entreprises familiales ?

Auguste

J’ai souvent parlé à des actionnaires familiaux intéressés par la formule. Pour eux la vision est souvent différente : « C’est à la famille de prendre le risque, les employés ne peuvent pas cumuler les risques du salariat et le risque capitalistique ».

Antoine

L’argument est intéressant.

Auguste

Absolument ! Ils ajoutent que c’est leur dignité de porter le risque sur la durée.

Antoine

C’est cela qui rend le profit acceptable. Il est passé par la case risque !

Auguste

Dans la petite ville ou nous habitions, les gens nous voyaient peiner les années dures. Nous étions riches en un sens, mais nous portions aussi le risque, les gens le savaient, on était respectés, pas jalousés.

Antoine

Les politiques, les familles d’accord … les syndicats ?

Auguste

Ils ne sont pas très chauds non plus. Pour la CGT c’est clair, « le risque c’est pour le patron ! ».

Bilan, tout le monde est contre.

Antoine

Tu ne parles pas du marché financier

Auguste

Lui aussi a peur qu’un personnel influent au conseil l’entreprise prenne des décisions trop favorables aux salariés.

Antoine

C’est bien mal parti cette histoire !

Auguste

Sauf qu’en dépit de toutes ces craintes, on assite, dans les faits, à de très belles expériences sur la longue durée. Des analystes financiers ont même montré que les entreprises à fort actionnariat salarié étaient plus performantes que la moyenne. Les choses sont en train de changer et ceux qui ne s’y sont pas trompés ce sont les « private equity » (capital-investissement), qui sont en ce moment les gros pourvoyeurs d’actionnariat salarié. Ils ont compris (ce ne sont pas des bienfaiteurs !) qu'il était dans leur intérêt d’associer le personnel au capital. Donc cela change tout doucement.

Antoine

Comment se situe la France ?

Auguste

La France est championne d’Europe mais ce sont surtout les grands groupes cotés qui le pratiquent, on tend vers les 5% du capital détenu par les salariés. Mais cela ne se développe plus depuis cinq ans ; il faut dire que François Hollande a pris des décisions incompréhensibles pour un socialiste en taxant les entreprises qui donnaient des actions au personnel, ce qu’il appelait le forfait social.

Encore une expression débile on utilise le mot social pour faire passer un nouvel impôt.

Antoine

On est revenu sur la décision.

Auguste

Mais elle a fait des dégâts !

Antoine

Ailleurs dans le monde ?

Auguste

C’est bien tu acquiers les bons réflexes au fil de nos conversations. C’est aux USA que cela a le plus pris, à hauteur de 10% du capital. Ils ont inventé une formule intéressante, le 401(k) : on investit moitié dans l’entreprise, moitié dans un fond diversifié.

Antoine

Très astucieux ça réduit le risque c’est une réponse à l’argument de Nicolas Sarkozy.

Auguste

Tu me vole l’argument ; le plus bel exemple c’est la General Motors qui a fait faillite mais dont le 401(k) était bourré d’actions Google, ce qui fait que les retraites ont été complètement protégées.

Antoine

C’est curieux qu’on n’en n’ait pas plus parlé

Que proposerais-tu ? `

Auguste

Auprès de PME je dirais que si une famille vend une partie de son capital au personnel l’Etat s’engage à réduire les droits de succession futurs aux membres de la même famille. L’autre idée forte serait de réduire la fiscalité des plus-values en cas de longue détention, car l’actionnariat salarie c’est de la longue détention.

Antoine

Ce serait un sacré coup de pouce donné au système de retraite et ça donnerait une meilleure image de la France vis-à-vis des investisseurs étrangers.

Auguste

Tout à fait ; dans les entreprises à fort actionnariat salarié les employés partent avec un gros capital qui leur assure un complément significatif de retraite. C’est toute la distinction entre un salarié actionnaire qui a de petites sommes dans l’entreprise et un actionnaire salarié pour qui les actions représentent une part significative de leurs biens.

Antoine

Le sujet de l’actionnariat salarié est beaucoup plus riche que je ne le croyais.

Auguste

Quand on regarde plus attentivement ce qui se passe, on voit tout de suite que les entreprises qui ont un grand nombre d’actionnaires salariés (ceux pour lesquels les actions sont un gros pourcentage de ce qu’ils possèdent) sont en fait celles qui surperforment.

 Antoine

L’histoire de la fiscalité est essentielle et je vois dans l’actionnariat salarié (quitte à s’inspirer de la formule américaine du 401K) une des pistes les plus fécondes de réforme et c’est peut-être la clé l’acte 2 d’une réforme des retraites

Antoine

Dis-m’en plus

Auguste

Prend un tableur et fais toi-même les calculs (ne regarde pas les papiers du COR qui sont incompréhensibles) ; amuse-toi à modéliser le capital accumulé par un salarié tout au long de sa vie. Cotise chaque mois 5% de son salaire, place-le à 5% (le CAC a fait 7% depuis la réforme des retraites de François Mitterrand), tu verras que le capital accumulé permet d’augmenter sa retraite de largement plus de 50% après 45 ans de travail.

 Antoine

Je ne suis pas très bon en tableurs.

Auguste

Après l’ENA ! Tu te rappelles ce que je te disais quand on parlait d’éducation, tout le monde doit savoir utiliser un tableur.

Antoine

Je n’étais pas bon en maths

Auguste

Attention, il y a les maths et les chiffres, ce n’est pas la même chose ; les maths c’est de l’abstraction, et seule une petite partie de la population est à l’aise avec cette discipline ; les chiffres, c’est concret, tout le monde doit les maîtriser pour vivre dans une société sophistiquée comme la nôtre. Je te le redis, il faut que l’Éducation nationale introduise la pratique d’Excel dans les cours avec évidemment celle du codage.

 Antoine

Ça va demander tout un travail !

Auguste

Pas du tout ! Il y a déjà de nombreux sites qui le font.

Antoine

Je vais regarder, mais plus j’y pense, plus l’actionnariat salarie me semble un axe à développer.

Auguste

Un point clé : réduis la fiscalité sur les détentions de longue durée ;  dans l’actionnariat salarié, les gens gardent leurs actions longtemps, ils méritent - quand ils vendent leurs actions pour compléter leur retraite - de payer une fiscalité allégée.

Antoine

Belle idée en plus cela améliorerait notre image : la France, un pays favorable à l’actionnariat stable et patient ! Grand-père tu es en forme ! Dommage j’ai un avion à prendre, on se quitte !

 

Publié le vendredi, 20 septembre 2024

1 Commentaire

  • Lien vers le commentaire Alain Glon lundi, 23 septembre 2024 Posté par Alain Glon

    Merci Mr Fontanet.
    Un système à pensée unique est mortifère puisque sans alternative préparée lorsque le monde extérieur impose un changement.
    La Bretagne saurait expérimenter la disposition que vous suggérez. Il serait préférable que les droits de succession soient placés chez les retraités de l’entreprise.
    Que diriez-vous à votre petit fils pour que Rennes ne soit pas la dernière station du métro parisien.

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