Entretien-débat avec Jérôme Fourquet : "2023, année de toutes les crises ?" [Vidéo]

Pouvoir d’achat, retraites, dette publique, impôts : le politologue Jérôme Fourquet analyse les perspectives économiques et sociales pour la France en 2023, sans complaisance. Glaçant.

Nous avons reçu Jérôme Fourquet, politologue et directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’IFOP, pour notre troisième édition des Matinales du contribuable (après le journaliste Dimitri Pavlenko et l’économiste Jean-Marc Daniel), le 26 janvier dernier.

Jérôme Fourquet (à gauche sur la photo) a répondu aux questions de Jean-Baptiste Leon et des membres de Contribuables Associés, venus nombreux à cet événement.

.À l’issue de cet entretien-débat, Jérôme Fourquet a dédicacé son ouvrage à succès La France sous nos yeux (Seuil, 110 000 exemplaires vendus).

Extraits de son intervention :

- État d’esprit des Français : colère et résignation

« La société française est partagée entre sentiment de colère et une forme de résignation, de fatigue. Entre 30 et 40% de la population française se dit fatiguée psychologiquement, physiquement. Les différentes crises (Covid, etc.) traversées ont fonctionné comme un gigantesque stress-test. Une partie de la population ne l’a pas supporté.»

« Les Français affichent un des taux de pessimisme les plus élevés au monde. Comment on peut expliquer cela ? Notamment par un décalage manifeste entre les représentations dans lesquelles nous avons vécu très longtemps, présentant la France comme un grande puissance, et la réalité concrète du pays, aujourd’hui ravalé au statut d’une puissance moyenne et évoluant en seconde division. bCela contribue sans doute à une certaine nostalgie. »

- Réformes des retraites

« (…) je peux donner des éléments éclairant sur le refus très majoritaire de cette réforme. En 2021 on a interrogé les Français à l’occasion du 40ème anniversaire de la victoire de François Mitterrand en leur demandant quelles avaient été les mesures les plus importantes et les plus marquantes de ses 2 septennats. Arrive en 1er, la 5ème semaine de congés payés, et en 2 la retraite à 60 ans. Cette réforme est donc perçue comme l’effacement de la grande avancée sociale des 40 dernières années. »

« S’ils ne contestent pas le diagnostic retraite, les Français se disent qu’il y a sans doute moyen de faire autrement, qu’on pourrait prendre l’argent ailleurs, que c’est toujours aux mêmes qu’on demande de mettre la main à la poche. »

- Rapport au travail

« On constate une perte de centralité du travail. De moins en moins de français considèrent le travail comme très important dans leur vie. Ils s’investissent davantage dans la sphère privée, les loisirs. Le rapport au travail a été modifié par la crise du covid et le développement du télétravail. On a aujourd’hui 25% des salariés français qui télétravaillent au moins 2 jours par semaine. Le rapport à l’entreprise change. »

- France perfusée aux dépenses publiques depuis la désindustrialisation

« La dépense publique a pris le relais de la production pour alimenter la société de consommation. Elle permet de maintenir à flot des pans entiers du territoire et de population. »

« Un des phénomènes majeurs c’est la désindustrialisation du pays, le tourisme a remplacé l’industrie. On avait jusqu’aux années 1980 une économie encore tournée vers la production, l’industrie et l’agriculture pour l’essentiel. Depuis les années 1980, le processus de désindustrialisation a été continu. Entre 2008 et 2020, La France a perdu 940 sites industriels de plus de 50 salariés répartis sur toutes les régions ».

« Beaucoup de territoires vivent essentiellement grâce à la dépense publique. Elle assure les salaires des fonctionnaires (un secteur important la santé), les pensions de retraite, les prestations sociales, etc. Dans une sous-préfecture quand il n’y a plus d’industrie, si vous prenez les salariés de l’hôpital, les profs, les instituteurs, les pompiers, les gendarmes… vous avez les gros bataillons d’actifs de ces territoires. Ce sont les mêmes que l’on a vu manifester en régions lors de la dernière journée de manifestation contre la retraite ».

- Rapport à la dette publique et syndrome de la ligne Maginot

« Nous avons traversé 2 crises majeures, la crise de 2008 et la crise Covid. Les repères ont volé en éclat, c’est le syndrome de la ligne Maginot. En 2008-2010, il y avait la note du triple A du pays qu’il ne fallait absolument pas perdre, sinon c’était la catastrophe. On l’a perdue. 1re ligne enfoncée. On s’est ensuite replié sur la deuxième ligne Maginot. Elle disait : « Jamais plus de 100% de dette publique sur PIB ». Arrive la crise Covid avec la mise en place du « quoi qu’il en coûte ». Deuxième ligne enfoncée. On est aujourd’hui à 113-114% de dette publique sur PIB. Résultat, on voit, dans les sondages que la préoccupation concernant la dette publique a considérablement rétrogradé dans la hiérarchie des Français (…). La crise Covid a ancré notre très forte dépendance collective à la dépense publique, à l’argent magique ».

- Impôts : où passe l'argent ?

« Quelque chose est en train de monter dans la société française et qu’on peut résumer par un cri, c’est « qu’est-ce que vous faites de notre pognon ? »

« Autant les Français n’ont pas forcément conscience qu’il y a des aides dans tous les sens, autant toute une partie d’entre eux trouvent que les charges qui pèsent sur leurs épaules sont devenues trop lourdes.»

« Une part croissante de nos concitoyens constate avec sidération la dégradation de toute une partie du service public (l’école, l’hôpital public, les transports en commun, l’énergie…) alors qu’on lui prélève énormément d’impôts et de taxes. La contrepartie semble de moins en moins évidente ».

- L’utilité de Contribuables Associés

« Si on parle de l’avenir et des générations futures, 81% des jeunes estiment que leur génération a le pouvoir d’agir, la question c’est pour faire quoi ? Ce sera à ces générations de relever le défi et à des organisations comme Contribuables Associés de les éclairer sur les « vrais » enjeux qu’ils auront à affronter. »