Le RSA et les diverses allocations coûtent cher, incitent à la paresse et à la dépendance... Mais pourraient-ils être efficaces s’ils étaient assortis de contreparties ? C'était le thème du dernier "débat du Cri", animé par Alain Dumait, avec pour invités le philosophe Philippe Nemo et le professeur d'économie Bertrand Lemennicier. Compte-rendu.
Alain Dumait :
Combien y a-t-il de minima sociaux ? 6 selon l’Insee, 9 selon le ministère des Affaires sociales. Il y a le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation d’insertion (AI), l’allocation adulte handicapé (AAH), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation équivalent retraite (AER), l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV)... Combien de personnes en bénéficient ? Environ 6 millions. Combien ça coûte ? Personne ne sait. Peut-être six milliards ?
Parmi les arguments pour, il y a la nécessité de réinsérer les personnes en difficulté, de même que la volonté d’assurer une certaine paix sociale. Les arguments contre : le coût, l’incitation à ne rien faire, les fraudes - d’après la Cour des comptes, certaines aide comptent 20 % de fraudeurs. Se pose aussi la question de leur efficacité : y a-t-il moins de pauvreté dans les pays qui distribuent des minima sociaux ?
Bertrand Lemennicier :
Le principal minimum social, le RMI, devenu RSA en 2009, a été créé par Michel Rocard. Dans son esprit, ce revenu minimum devait se substituer à tout le fatras d’aides sociales auquel plus personne ne comprenait rien. On sait ce qui s’est passé : le RMI s’est ajouté aux autres aides.
Il faut, en théorie, distinguer deux sortes de minima sociaux : les permanents et les transitoires. Les permanents devraient bénéficier à ceux qui ne pourront jamais retrouver du travail : quand le minimum vieillesse a été instauré en 1956, il concernait des gens relativement âgés, souvent anciens combattants, usés par la guerre, etc. Et puis il y a la pauvreté transitoire, qui touche par exemple les personnes au chômage, entre deux travails. En principe, les minima permanents ne devraient toucher que très peu de monde. Dans la réalité, les aides qui devraient être transitoires deviennent permanentes.
Quelles en sont les conséquences ? Les gens qui ne devraient pas être éligibles à ces aides le deviennent. Plutôt que de travailler, ils préfèrent toucher une aide et accroitre leurs revenus avec, par exemple, du travail au noir. Tout le système incite non pas à retrouver du travail, mais à continuer à vivre des ces aides. Par ailleurs, le fait de bénéficier d’un revenu vous rend plus exigeant quant au niveau de salaire d’un éventuel travail. Là encore, ça ne vous incite pas à travailler.
Autre problème : celui de la bureaucratie qui distribue ces aides, qui est à la fois inefficace et coûteuse. La solution, à mon sens, serait de donner les aides sous forme d’un capital, à charge pour son bénéficiaire de le gérer comme il l’entend. Il y a également la fraude : par exemple deux personnes vivant ensemble et touchant l’Allocation de parent isolé (API). Il faut seulement que les voisins ne le voient pas…
Alain Dumait :
Le RSA a été créé le 1er janvier 2009. Il y a eu, depuis, 5 millions de dossiers examinés pour 1,7 million de bénéficiaires. Il y a trois sortes de RSA : le RSA socle, qui correspond à l’ancien RMI, le RSA socle plus activité, quand vous travaillez à côté ; et le RSA activité seule.
Philippe Nemo :
Je voudrais replacer ce débat dans un cadre philosophique. Le RSA relève plus généralement du socialisme qui règne dans notre société. Socialisme qui a pris un côté religieux, fanatique, et qui a atteint toutes nos élites françaises. Je crois que c’est une sorte de délire collectif, le mot n’est pas trop fort ; j’espère seulement que nous nous réveillerons un jour.
Ce dont on ne se rend pas assez compte, ce sont les conséquences psychologiques et sociales de ces aides. Prenez l’API aux Antilles, îles que je connais bien. Il est bien vu, là bas, d’avoir des enfants. Cela incitait, autrefois, à se marier. Aujourd’hui, l’API incite à ne pas se marier. On disait à l’instant qu’il ne fallait pas que les voisins vous voient… sauf s’ils sont d’accord et qu’ils font la même chose ! Nous ne sommes pas en Suisse, où les fraudeurs se font dénoncer.
Je crois que cette destruction de la famille n’est pas un hasard, et qu’en réalité elle est voulue. Le socialisme a toujours été l’ennemi de la famille. Le fantasme des socialistes, c’est qu’il n’y ait plus qu’une famille, c'est-à-dire une tribu. La famille nucléaire est un obstacle entre l’individu et le tout social. Beaucoup de lois programment la disparition de la famille - progressive, pour ne pas que l’on s’en rende compte.
Autre conséquence : sur les enfants qui grandissent dans les familles ou père et mère vivent des minima sociaux. Se développe alors une culture de la paperasse, une culture de l’assistanat, on crée une sorte d’ « Untermensch », incapable de liberté et d’initiative.
Quant à la solidarité, dont on parle tant, il s’agit en réalité de vol de leurs biens à ceux qui travaillent ! Les minima sociaux, ce devrait être un filet qui rattrape le trapéziste s’il vient à chuter. Il ne faut pas que le filet emprisonne le trapéziste…
Propos recueillis par Amédée Dubuis
Bertrand Lemennicier est professeur d’économie à Paris II, auteur de « La Morale face à l’économie » (éditions d’Organisation, 2005). Philippe Nemo est philosophe. Dernier ouvrage paru : « Les Deux Républiques françaises » (PUF, 2008)