« Clause du grand-père » : l’inquiétant renoncement du gouvernement [Tribune de Benoît Perrin dans Causeur]

Écrit par Benoît Perrin
Tribune-Causeur-Réforme des retraites-Benoit Perrin © Contribuables Associés

Ce sera toujours aux jeunes générations d’éponger les déficits liés au maintien de ce privilège anachronique, dans les prochaines années, dénonce dans Causeur Benoît Perrin, directeur de Contribuables Associés, association regroupant 350 000 contribuables en France.

 

La réforme des retraites a le mérite de prévoir une mesure attendue de longue date par les Français attachés à l’équité et à une gestion saine de nos finances publiques: la disparition des régimes spéciaux pour les agents de la RATP, d’EDF, de la Banque de France, ou encore du CESE.

Cependant, leur enthousiasme doit être rapidement balayé: cette mesure s’accompagne d’une injustice flagrante, en prévoyant la fameuse « clause du grand-père ». À compter du 1er septembre 2023, seuls les nouveaux entrants sur le marché du travail devront intégrer le régime universel de retraite. Les autres, quel que soit leur âge ou leur ancienneté, bénéficieront toujours du calcul spécifique des droits ainsi que de l’âge de départ plus précoce.

Pour le dire simplement, cela revient à repousser d’au moins 40 ans les effets de la réforme. Voire plus: d’après le directeur général de la caisse de retraite des personnels de la RATP, un retraité toujours de ce monde perçoit sa pension depuis… 1952 ! Ainsi, les précieuses économies attendues de cette réforme n’apparaîtront définitivement que dans 70 ou 80 ans, lorsque le dernier ayant droit des régimes spéciaux aura disparu.

Pourquoi attendre 2066 pour que les agents concernés partent aussi à la retraite à 64 ans – et avec de meilleures pensions en moyenne ? Au nom de quoi un tel privilège est-il maintenu? D’après les syndicats, ces avantages feraient partie du « contrat social » passé entre les agents et leur employeur à la date de leur embauche. « On ne change pas les règles en cours de route » abonde Olivier Véran.

Dès lors, pourquoi est-ce que les règles devraient changer pour tous les salariés, hormis pour quelques privilégiés protégés par leur statut et assurés d’une rente à vie ? Qu’est-ce qui différencie ces agents des autres salariés qui n’avaient certainement pas prévu, au moment de leur embauche, de travailler deux ou quatre ans de plus ? Pourquoi, a minima, ne pas envisager une solution de moyen terme permettant une extinction progressive des régimes spéciaux?

Au-delà de l’évidente injustice de cette mesure, il faut rappeler le coût de cette clause pour les finances publiques. Si l’on veut bien se donner la peine de regarder les chiffres, on se rend bien vite compte des sommes faramineuses payées par l’État – et donc par les contribuables – pour maintenir ces régimes.

Prenons le cas de la SNCF, où la « clause du grand-père » s’applique depuis déjà trois ans. À la suite de la réforme ferroviaire du premier quinquennat Macron, seuls les cheminots recrutés depuis 2020 n’ont plus le droit au régime spécial. Chaque année, l’État verse une subvention d’équilibre au régime spécial de retraite des cheminots, afin de financer les dispositifs de départ anticipés et l’écart démographique entre cotisants et retraités. En 2021, son coût budgétaire était de 3,3 milliards d’euros. En multipliant ce chiffre par les 40 années durant lesquelles les cheminots ne seront pas dans le régime universel, on parvient à un coût de 130 milliards d’euros pour le contribuable!

À ce chiffre, il faut ajouter le montant de la cotisation employeur T2 visant à financer les droits spécifiques de retraite du régime spécial, pour un coût de 600 millions d’euros annuels. Rapportée sur 40 ans, cette dépense supplémentaire revient donc à 24 milliards.

Ainsi, en évitant l’extinction immédiate du régime spécial des cheminots, l’exécutif avait déjà lesté les finances publiques d’une dépense supplémentaire (et injustifiée) de 154 milliards d’euros [1] – sans même prendre en compte l’inflation!

Le coût de cet injustifiable cadeau est donc facilement calculable. Dans leur vaste majorité, les Français rejettent ce système à deux vitesses. Dès lors, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas le courage politique d’aller jusqu’au bout de sa réforme ? La réponse est simple : ces régimes coûteux et injustes profitent essentiellement à du personnel capable de bloquer les transports ou de couper l’électricité.

À ces concessions inouïes s’ajoute d’ailleurs le maintien pour tous les agents de conditions très favorables. À titre d’exemple, le gouvernement a choisi de ne pas repousser de deux ans l’âge auquel les conducteurs et les agents de sécurité de la RATP peuvent prendre leur retraite à taux plein : 57 ans – soit l’âge d’annulation de la décote [2].

La droite sénatoriale avait prévu de rétablir l’équité entre les Français. Cependant, elle ne sera pas allée au bout de son projet pour éviter l’obstruction de la gauche. Dès lors, le gouvernement et le parlement ont entériné un système qui maintient deux catégories de salariés, au prix d’un coût déraisonnable pour nos finances publiques. La clause du grand-père constitue enfin une profonde fracture intergénérationnelle : dans les décennies à venir, ce sera aux jeunes générations de continuer à éponger les déficits liés au maintien de ce privilège anachronique pour les plus anciens.

[1] Les 130 milliards d’euros de subventions d’équilibre sur 40 ans + les 24 milliards supplémentaires de cotisations employeur T2 à combler, NDLR

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Publié le vendredi, 31 mars 2023

7 Commentaires

  • Lien vers le commentaire Didier samedi, 08 avril 2023 Posté par Didier

    Ah !! Cette pseudo "maîtrise" comptable dans un "budget" par ailleurs régi par une comptabilité "centralisée" depuis belle lurette.
    Décidément les "financiers" nous prennent pour des billes ! Ce ne sont QUE des écritures et c'est Bercy qui fixe les règles; il suffit la plupart du temps de faire votrer des Lois "correctives"; la belle affaire !
    Mais pourquoi donc systématiquement vouloir niveler vers le bas et aligner tout le monde sur le "moins disant"?
    Effectivement le "contrat social" devrait être maintenu dans TOUS les domaines ! On commence à travailler, on a un régime défini, on le garde jusqu'à la "sortie", démission, chômage ou retraite. On appelle même ça les "carrières mixtes" !
    Quand j'entends les chiffres balancés à tort et à travers (13 milliards par an de déficit); si c'est comme les morts du Covid et le réchauffement climatique avec les rapports du Giec et leurs modèles qui ne se sont jamais réalisés depuis 30ans; sans compter que tout le monde n'est pas d'accord (le COR ne voit pas d'urgence, le nécessaire ayant déjà été fait sous Fillon); il ne faut pas perdre de vue que ça fait moins de 1% du Budget de l'État. Allez, un petit parallèle avec le coût des McKinsey et compagnie, du "Quoi qu'il en coûte" ou du montant pharaonique des exemptions de taxes et de charges patronales. Je suis certain que nos génies de Bercy doivent pouvoir trouver des vases communiquant.
    En vérité le problème est ailleurs; c'est la destruction des emplois et leur remplacement systématique par des délocalisations et de la robotisation. Il n'y aura bientôt plus assez de travailleurs pour payer les retraités.
    Mais qui est responsable? les salariés, ou bien les Entreprises? Qui délocalise, qui tire les salaires vers le bas au point que ceux-ci ne sont plus en adéquation avec le coût de la vie (on le voit particulièrement bien en ce moment, inflation du panier alimentaire de plus de 15% et inflation "corrigée" INSEE autour de 6%)? Mais qui va oser un jour faire enfin payer, juste un petit peu, ces voleurs d'actionnaires du CAC40 en particulier?
    Parenthèse supplémentaire sur le fameux (fumeux) budget des retraites qui serait à terme en déficit. Allez messieurs les "Contrôleurs", nn petit effort de mémoire; la manne des Radars (voire des péages dont vous vous êtes affranchis en revendant les autoroutes à vos copains du Privé) vous êtes certains qu'elle ne sert pas à autre chose qu'au Budget des routes?
    En résumé si le système est dévoyé, ce n'est pas la faute de salariés, ce n'est donc pas à eux d'en subir les conséquences ! ET j'ai eu ue carrière "mixte" Public-Privé, je sais donc de quoi je parle !
    Pardon pour la longueur de mon commentaire !

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  • Lien vers le commentaire Gil Tart-Ampion vendredi, 07 avril 2023 Posté par Gil Tart-Ampion

    Ce seul scandale de l'enormissime différence de traitement entre le public et le privé, suffit à justifier à lui seul une dure révolution (plus que les grèves en cours).
    La situation est pire que sous une monarchie, car maintenant les nantis, représentent plusieurs millions de français, et pas question de les égratinier (sinon le monde du privé en subira de lourdes conséquences). Le problème financier est abyssal avec des reversements cachés provenant des caisses du privé au bénéfice des caisses du public (de plus avec une récurrence toujours accentuée) ; Le révoltant problème de l'injustice est à pleurer.

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  • Lien vers le commentaire Hugues vendredi, 07 avril 2023 Posté par Hugues

    Lors de mon embauche dans une banque bien connue, nous avions la retraite à 55 ans payée par la boîte puis en 1999/2000, nos patrons ont trouvé que cela coûte trop cher et ont annulé cet avantage malgré plusieurs jours de grève.
    Faute de pouvoir bloquer le pays et supportant un risque pour la carrière voir de licenciement, la réforme est passée.
    Puis de 60 nous sommes passé à 62 puis 62 et un trimestre etc.
    Autre chose qui me gêne c’est la déclaration de Richard Ferrand au perchoir de l’assemblée « ce n’est pas un problème de financement des retraites mais c’est pour financer le social » sur le dos des seuls travailleurs âgés.

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  • Lien vers le commentaire fabrice jeudi, 06 avril 2023 Posté par fabrice

    Cher cocopat, les sénateurs cotisent à un taux élevé, pourquoi pas ? Mais pour un mandat de 6 ans un sénateur touche plus que la ,plupart des ouvriers qu ont travaillé 42 ans. Le sénat coûte une fortune aux Français et devrait être supprimé car il ne sert à rien, en fin de compte c'est toujours l'assemblée nationale qui a le dernier mot ! Quant aux régimes spéciaux, le projet de loi parlait de réforme des retraites et suppression des régimes spéciaux, quelqu'un peut-il me dire quels régimes spéciaux sont supprimés dans la loi adoptée par 49.3 ?

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  • Lien vers le commentaire Cocopat jeudi, 06 avril 2023 Posté par Cocopat

    En ce qui concerne les sénateurs, je ne souscris pas entièrement au commentaire de Bourdiga. Leur régime est sans doute favorable, mais au moins il est équilibré, car les sénateurs cotisent à un taux élevé, et en outre comme ils restent souvent en "activité" jusqu'à un age avancé, le ratio cotisants / pensionnés est assez élevé, ce qui n'est pas le cas des régimes spéciaux type SNCF ou RATP.
    Ceci dit, je suis d'accord avec l'article : réserver la clause du grand-père aux seuls régimes spéciaux est une injustice flagrante. Elle ne m'a par exemple pas été appliqué lorsqu'en 1993 il a été décidé que la base de calcul de la retraite de base des salariés du privé serait les 25 meilleurs années et non plus les 10 meilleures, chose qui était prévue lorsque j'ai été embauché.

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  • Lien vers le commentaire majorque jeudi, 06 avril 2023 Posté par majorque

    [Les "politiques" aux travailleurs]: "Faites SURTOUT ce que je dis, mais ne faites surtout pas ce que je FAIS!"
    Quel courage, quelle abnégation, auxquels la foule des travailleurs applaudit... à tout rompre, et ce n'est pas l'envie qui lui manque !

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  • Lien vers le commentaire bourdiga lundi, 03 avril 2023 Posté par bourdiga

    "la droite sénatoriale avait prévu de rétablir l'équité entre les français " à mourir de rire ! sans toucher à son propre régime de retraite pourtant payé par les français ; les privilèges ont la vie dure et là en matière de retraite on est loin des retraites RATP , SNCF, EDF et autres ; dans leur cas l'exemplarité devrait être de mise

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