Harcèlement textuel, avalanche de normes parfois absurdes, intrusion dans nos comportements et nos préférences nationales... Pourquoi les contribuables doivent-ils financer à grands frais l'élaboration des normes encadrant la longueur des concombres, le taux de sucre dans la confiture, le volume des chasse d'eau, la vitesse des essuie-glaces des tracteurs agricoles ?
Jean-Philippe FELDMAN est Professeur agrégé des facultés de droit, Maître de conférences à Sciences Po, Avocat à la Cour de Paris
3 ans et 90 000 euros le rapport sur les chasses-d’eau…
La Commission de Bruxelles n’a pas accru sa popularité Outre-Manche en novembre 2013 lorsque, après un débat sur la teneur minimale en sucre dans les confitures réduite de 60 à 50 %, elle a recommandé, à la suite de trois années d’études et d’un rapport de 122 pages qui avait coûté près de 90.000 €, des règles de standardisation des toilettes en Europe : l’évacuation normale de la chasse d’eau devrait être de 6 litres et l’évacuation économique de 3 litres… alors que les Anglais utilisent traditionnellement 4 litres d’eau pour leur demi-chasse !
Le feuilleton des essuie-glaces de tracteurs agricoles
En 1997, un rapport du Sénat sur l’application du principe de subsidiarité avait cité quelques perles de la règlementation communautaire. Il se référait à la directive relative aux essuie-glaces des tracteurs agricoles ou forestiers à roues selon laquelle « si le tracteur est muni d’un pare-brise, il doit également être équipé d’un ou plusieurs essuie-glaces actionnés par un moteur. Leur champ d’action doit assurer une vision nette vers l’avant correspondant à une corde de l’hémicycle d’au moins 8 mètres à l’intérieur du secteur de vision », la vitesse de fonctionnement des essuie-glaces devant être d’au moins vingt cycles par minutes.
Il visait également la directive concernant le rapprochement des législations des États membres relative aux rétroviseurs des tracteurs agricoles ou forestiers à roues, selon laquelle « le rétroviseur extérieur doit être placé de manière à permettre au conducteur, assis sur son siège dans la position normale de conduite, de surveiller la portion de route définie au point 2.5 », ledit point disposant que « le champ de vision du rétroviseur extérieur gauche doit être tel que le conducteur puisse voir vers l’arrière au moins une portion de route plane jusqu’à l’horizon, située à gauche du plan parallèle au plan vertical longitudinal médian tangent à l’extrémité gauche de la largeur hors tout du tracteur isolé ou de l’ensemble tracteur-remorque » !
Cette dénonciation n’a guère eu d’effet puisque la Communauté européenne n’a cessé d’adopter des textes en la matière. Un intéressant guide juridique de la règlementation des tracteurs agricoles ou forestiers paru en 2009, aux bons soins du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, et qui ne comporte pas moins de 58 pages, permet de faire le point.
Il est rappelé que la directive du 26 mai 2003 concernant la réception par type des tracteurs agricoles ou forestiers remplace la directive du 4 mars 1974 en visant à une totale harmonisation des règles de réception européenne concernant la sécurité des véhicules au travail ou sur la route. En France, un décret du 30 septembre 2005 a transposé la directive de 2003 pour sa partie relative à la sécurité du travail, si bien qu’un décret du 23 décembre 1980 a été abrogé, le décret de 2005 devant être associé à un décret du 24 février de la même année transposant la directive communautaire de 2003 pour sa partie relative à la sécurité routière…
La règlementation communautaire comportait entre autre :
– des directives de 1977 relatives au niveau sonore aux oreilles du conducteur et au dispositif de protection en cas de renversement par essais dynamiques,
– une directive de 1978 sur le siège du conducteur, une directive de 1979 sur les dispositifs de protection en cas de renversement par essais statiques,
– une directive de 1980 sur les espaces de manœuvres, et accès au poste de conduite, portes et fenêtres du tracteur,
– des directives de 1986 sur les prises de force et leur protection, des dispositifs de protection en cas de renversement, montés à l’arrière, des tracteurs agricoles ou forestiers à voie étroite, des installation, emplacement, fonctionnement et identification des commandes,
– une directive de 1987 sur les dispositifs de protection, en cas de renversement, montés à l’avant des tracteurs agricoles ou forestiers à voie étroite,
– enfin une directive de 1988 relative à certains éléments et caractéristiques de la protection des éléments moteurs, des parties saillantes et des roues, et aux liaisons mécaniques entre tracteurs et véhicules remorqués.
Bien entendu, ces diverses directives avaient été modifiées pour la plupart à une ou plusieurs reprises et donné lieu à chaque fois à des arrêtés français de transposition.
On ne transige pas sur la qualité de la banane !
Une autre illustration des règles kafkaïennes au niveau communautaire concerne les normes de qualité pour les bananes. Le règlement de la Commission du 16 septembre 1994 définit les qualités que doivent présenter les bananes vertes non mûries après conditionnement et emballage : les bananes doivent être vertes, entières, fermes, saines, propres, pratiquement exemptes de parasites et d’attaques de parasites, à pédoncule intact sans pliure ni attaque fongique et sans dessiccation, épistillées, exemptes de malformations et de courbure anormale des doigts, pratiquement exemptes de meurtrissures et de dommages dus à de basses températures, exemptes d’humidité extérieure anormale, d’odeurs et/ou de saveurs étrangères, les mains et les bouquets devant comporter une portion suffisante de coussinet de coloration normale, saine, sans contamination fongique, et une coupe de coussinet nette, non biseautée, sans trace d’arrachement et sans fragment de hampe.
Quant au calibrage, il se trouve déterminé « par la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d’insertion du pédoncule sur le coussinet jusqu’à l’apex, le grade, c’est-à-dire la mesure, exprimée en millimètres, de l’épaisseur d’une section transversale du fruit pratiquée entre ses faces latérales et son milieu, perpendiculairement à l’axe longitudinal. Le fruit de référence servant à la mesure de la longueur et du grade est le doigt médian situé sur la rangée extérieure de la main, le doigt situé à côté de la coupe, qui a servi à sectionner la main, sur la rangée extérieure du bouquet. La longueur et le grade minimaux sont respectivement fixés à 14 cm et 27 mm ».
Et les concombres ?
Nous épargnerons au lecteur la recension de la directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au matériel électrique utilisable en atmosphère explosible des mines grisouteuses ou encore du règlement fixant des normes de qualité pour les concombres, mais nous ne résistons pas au plaisir de lui apprendre (quoique nul ne soit censé ignorer la règlementation !) que le poids minimal des concombres cultivés en plein air est fixé à 180 grammes et celui des concombres cultivés sous abri à 250 grammes, que la longueur minimale de certains concombres doit être égale à 25 ou 30 cm suivant leur poids, et que « la différence de poids entre la pièce la plus lourde et la pièce la plus légère contenues dans un même colis ne doit pas excéder 100 grammes lorsque la pièce la plus légère pèse entre 180 et 400 grammes, et 150 grammes lorsque la pièce la plus légère pèse au moins 400 grammes » !
On saluera le travail remarquable des fonctionnaires communautaires dont la précision est proprement diabolique.
Comment est-on arrivé à une telle absurdité ?
Les textes communautaires disposent pourtant que des décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité !
Malheureusement, cette subsidiarité n’est qu’un trompe l’œil dans la mesure où les autorités communautaires sont libres de déterminer leur compétence en vertu du critère de l’utilité, autrement dit à partir du moment où leur action est soit disant considérée comme plus efficace. C’est ainsi que l’Union européenne est devenue une machine à règlementer et qu’elle a vidé de sa substance la subsidiarité par une règlementation minutieuse et croissante, en un mot abusive, d’à peu près toutes les activités individuelles.
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