Mettre une condition d’âge à l’exonération d’impôts locaux en fonction des ressources, est-ce bien conforme à la Constitution ?
Tout le monde connaît la polémique actuelle sur les retraités modestes nouvellement soumis à la taxe foncière et à la taxe d’habitation. Outre la fiscalisation des majorations familiales pour les retraités ayant eu trois enfants, cet assujettissement subit vient du fait que le code général des impôts prévoit une exonération de ces taxes sous condition de ressources, lesquelles ressources varient selon le nombre de parts fiscales du foyer.
Ainsi, pour 2014, l’exonération concernait les foyers dont le revenu de l’année 2013 n’excédait pas 10 633 € pour une part fiscale et 13 472 € pour une part et demi. Or, c’est en 2014 qu’a définitivement disparu la demi-part supplémentaire accordée aux veufs et veuves ayant élevé au moins un enfant. Cette demi-part avait de moins en moins d’influence en termes d’impôt sur le revenu car l’économie d’impôt en résultant était de plus en plus drastiquement réduite. Mais elle conservait tout son effet en matière d’impôts locaux puisque le revenu de référence pour bénéficier de l’exonération dépend du nombre de parts, qu’il y ait ou non un plafonnement.
Le couperet est donc tombé seulement cette année, avec la disparition définitive de la demi-part. Ainsi, une veuve qui pouvait être exonérée en 2014 avec 13 472 € de revenus, ne pouvait plus l’être en 2015 si ses revenus dépassaient 10 686 €. Et comme il n’existe pas d’abattement en taxe foncière, les contribuables concernés se sont retrouvés d’un coup avec une taxe plein pot. En pratique, cela vise la taxe foncière pour les retraités de condition modeste âgés de plus de 75 ans et la taxe d’habitation pour les personnes de plus de 60 ans ou veuves quel que soit leur âge. L’émeute a eu pour cause principale la taxe foncière car c’est elle qui est à payer en premier et, surtout, la taxe d’habitation s’accompagne d’autres abattements qui peuvent amortir le choc d’une taxation nouvelle.
Devant l’émoi suscité, le gouvernement a courageusement décidé de reculer et d’accorder une nouvelle exonération. Cela ne fait pas sérieux, que le gouvernement n’ait pas venir le coup ou qu’il se soit contenté de céder à la pression. D’autant que cela coûtera 250 millions d’euros à l’Etat, sans savoir qui va payer à la place. On ignore même si l’exonération sera provisoire et limitée aux seules personnes qui étaient déjà exonérées en 2014, à l’instar de ce qui existe déjà en matière de redevance audiovisuelle. Bref, il règne comme un parfum d’improvisation aux relents électoralistes…
Quoi qu’il en soit, la mise en lumière de ce dispositif favorable au troisième âge laisse en suspens une question : pourquoi bénéficie-t-il aux seules personnes âgées ?
On ne peut que regretter que le dispositif soit réservé à une classe d’âge unique.
En quoi un jeune avec les mêmes revenus modestes a-t-il davantage les moyens de régler ses impôts locaux ? On peut même aller plus loin et se demander si les jeunes n’ont pas encore plus besoin que les retraités de cette exonération de taxe foncière, signe d’ailleurs d’un minimum de richesse puisque réservée aux seuls propriétaires. En effet, les personnes âgées ont le plus souvent fini de rembourser leur emprunt immobilier lorsqu’ils arrivent en retraite et sont donc débarrassés des charges bancaires. A l’inverse, le jeune qui s’installe débute avec un gros emprunt à rembourser. C’est donc à ce moment qu’une exonération de taxe foncière lui serait bien utile…
On peut donc s’interroger sur la constitutionnalité du texte, notamment au regard de l’égalité des citoyens devant les charges publiques et surtout des contribuables devant l’impôt. Accorder un avantage fiscal en fonction de l’âge sans que celui-ci justifie la mesure rompt à n’en pas douter l’équilibre. Surtout si on amplifie la résonnance électoraliste de la décision en la restreignant aux seuls contribuables qui en bénéficiaient déjà, à l’exclusion des futurs vieux ou veufs. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas réclamer l’exonération d’impôts locaux quel que soit l’âge ? Voilà ce qui serait de la justice fiscale.