→ Le gouvernement a présenté son budget 2018, le 27 septembre dernier, et va le défendre à compter de ce 17 octobre devant les députés. Quelle est votre réaction aux mesures annoncées ?
On peut commencer par les bonnes nouvelles car il y en a quand même : 10 milliards de baisses d’impôts. On ne va pas se plaindre : 6 milliards pour les ménages, 4 milliards pour les entreprises.
En ce qui concerne les ménages, il s’agit de la réforme de l’ISF, l’impôt sur la fortune, qui va exclure les valeurs mobilières. Même si on préfèrerait que l’ISF disparaisse complétement, il faut quand même se féliciter de cette avancée. La disparition des valeurs mobilières, des actions, du champ de l’ISF va être un bon booster pour l’investissement dans les entreprises.
L’autre élément de baisse des impôts pour les ménages, c’est la réduction importante de la taxe d’habitation. En revanche, pour moi, c’est une réforme négative car elle conduit à une recentralisation des dépenses de l’État, et diminue la responsabilisation des collectivités locales.
Et puis ce n’est pas un impôt très incitatif. Si on diminue l’impôt sur le revenu, les gens ont tendance à travailler plus pour gagner plus, mais si l’on supprime ou diminue la taxe d’habitation, les gens ne vont pas revendre leur maison pour en acheter une plus grande. Il n’y a pas un effet très incitatif mais juste un effet d’aubaine qui va se traduire par une hausse de la consommation, ce qui ne sera pas forcément très positif pour l’économie.
En ce qui concerne les entreprises, la baisse de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur les bénéficies, est une bonne chose qui peut renforcer la capacité des entreprises françaises à investir.
→ La communication gouvernementale a vendu aux Français 15 milliards d’économies sur le budget 2018. Qu’en est-il réellement ?
Il faut dénoncer cette magouille. Le chiffre de 15 milliards d’économies circule dans les médias. Il faut savoir que ce chiffre est faux. En valeur absolue les dépenses de l’État ne baissent pas, elles augmentent même de quelques milliards [de 7 milliards d’euros, NDLR].
Comment la communication gouvernementale arrive à sortir ce chiffre des 15 milliards ? En fait, les dépenses augmentent moins vite que prévu et le calcul se fait par rapport au PIB. Et comme le PIB devrait augmenter de 1,7 % selon les prévisions de l’INSEE (ce qui est un taux plutôt bon par rapport aux années précédentes), globalement, le rapport dépenses publiques sur PIB diminue de 15 milliards.
« Les dépenses augmentent un peu moins vite que prévu. Mais ce n’est pas du tout 15 milliards d’économies »
Mais il faut que les choses soient claires, cela veut seulement dire que les dépenses augmentent un peu moins vite que prévu. Mais ce n’est pas du tout 15 milliards d’économies.
Il faut dénoncer cette communication fallacieuse pour dire que, malheureusement, et comme c’est le cas depuis 1974 – dernier budget à l’équilibre en France – les dépenses publiques ne cessent d’augmenter et le déficit de l’État ne cesse d’augmenter.
→ Le déficit de l’État est abyssal et ne cesse de se creuser. 69 milliards d’euros en 2016, 76 milliards d’euros en 2017, 83 milliards d’euros en 2018.
Il y a là aussi un effet de communication dont il faut vraiment se départir : on parle toujours du déficit par rapport au PIB. Mais le PIB, ce ne sont pas les recettes de l’État, le PIB c’est la valeur ajoutée créée par les entreprises dans une année et qui sert ensuite à payer les salariés, à rémunérer les actionnaires et puis à payer les impôts, aussi…
« Quand on fait un budget, il faut comparer les dépenses et les recettes, c’est ce que fait un ménage ou une entreprise »
Quand on fait un budget, il faut comparer les dépenses et les recettes, c’est ce que fait un ménage ou une entreprise. Et quand on regarde, de ce point de vue-là, on constate que les différences entre les dépenses et les recettes de l’État sont de l’ordre de 20% depuis plusieurs années.
Imaginez un ménage ou une entreprise dont les dépenses excèdent les recettes de l’ordre de 20 %, c’est une situation qui est qualifiée de catastrophique, à juste titre. Et en règle générale, ça ne peut pas durer très longtemps…
→ Dans votre étude « 50 milliards d’euros d’économies sur le budget 2018, c’est possible ! », vous chiffrez le rapport du déficit aux recettes de 30,5 % pour 2016.
Effectivement, 20%, c’est une tendance moyenne sur la longue durée, mais ces dernières années avec la dégradation de comptes, c’est même 30%. Et c’est de cette façon-là qu’il faut lire le budget.
Même si on arrive à passer en dessous des fameux 3% du PIB de déficit (c’est ce qui est prévu pour le budget 2018), cela correspondra toujours à une différence entre les dépenses et les recettes extrêmement importante. On donne l’impression qu’on sera tranquille, une fois sous les 3%, qu’il n’y aura plus d’efforts à faire.
Non, il faudra continuer les efforts : car pendant ce temps-là, la dette augmente, et dans les années qui viennent, les taux d’intérêt risquent d’être à la hausse, ce qui fera peser une charge extrêmement lourde sur le budget.
→ Le gouvernement entend faire passer le pays sous la barre des 3% de déficit, mais sans réduire pour autant les dépenses publiques. Est-ce à dire que le gouvernement va avoir recours à une nouvelle ponction fiscale ?
Non, mais il va utiliser une autre astuce qui reviendra au même. Regardons les chiffres, le projet de budget 2018 prévoit une hausse du déficit de l’État à 83 milliards d’euros et, en même temps, le passage sous les 3% de déficit exigé par les critères de Maastricht. Si l’on prend le PIB de 2016, c’est-à-dire 2228,9 milliards d’euros, 3% de cette somme donne 66,8 milliards d’euros. Comment se retrouver sous ces 3% avec un budget de l’État en déficit de 83 milliards ?
L’explication tient au fait que les critères de Maastricht considèrent l’ensemble des déficits publics, celui de l’État, mais aussi des ODAC (Organismes Divers d’Administration Centrale), les collectivités locales et la Sécurité sociale. Et le projet de budget prévoit que les ODAC actuellement en léger déficit parviendront à l’équilibre, que les collectivités locales resteront dans le vert et, surtout, que la Sécurité sociale va générer un excédent à hauteur de 0,5% du PIB soit 11 milliards d’euros.
C’est ce que montre ce graphique tiré du bulletin mensuel de septembre de l’Agence Française du Trésor.
Quand on voit comment les collectivités locales renâclent face aux diminutions des reversements de l’État, et qu’elles n’engagent aucune réduction de leur train de vie, on se dit que leur maintien dans le vert se fera par des augmentations d’impôts locaux…
Quant à la Sécurité sociale, irréformable et dépensière, on se doute que cet excédent se fera par un accroissement des déremboursements, et donc une augmentation des frais de santé à payer par les particuliers.
Ainsi, le retour sous la barre des 3% ne se fait pas par une diminution des dépenses publiques mais au final par une sollicitation supplémentaire des Français…
Propos recueillis par Jean-Baptiste Leon
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Philippe Herlin est économiste et Docteur en économie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Il a publié aux Éditions Eyrolles Finance, le nouveau paradigme (2010), Repenser l’économie (2012), France, la faillite ? (2010, 2012), L’or, un placement d’avenir (2012, 2017), La révolution du bitcoin (2013), (2015). Il a obtenu le Prix spécial du Jury du Prix Turgot 2011 pour son premier ouvrage. Il se reconnaît dans l’école autrichienne (Hayek) et dans les penseurs du risque extrême comme Benoît Mandelbrot (l’inventeur des fractales) et Nassim Taleb (l’auteur du Cygne noir). Il est aussi chroniqueur à GoldBroker.com et à Economie Matin, et il intervient régulièrement dans les médias. Son site : www.philippeherlin.com
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