Même quand les contribuables obtiennent gain de cause en justice, ils doivent payer leurs propres frais d'avocats tandis que les élus inculpés utilisent les finances locales.
Fin août 2014, notre association amie l’ACCR (Association citoyenne de contribuables roquebrunois, Roquebrune-sur-Argens étant une commune du Var, dans l’arrière-pays de Fréjus et Sainte-Maxime) avait obtenu une victoire assez symbolique contre le maire de la ville, Luc Jousse, qui était reconnu coupable par le tribunal d’avoir utilisé les cartes d’essence et les voitures de fonctions de la mairie à des fins personnelles. Un « banal » abus de bien social qui n’aurait jamais été connu sans l’association.
Créée en 2011, l’ACCR avait au départ constaté des irrégularités lors du contrôle des comptes de la commune. Il a donc fallu trois ans pour arriver à la condamnation d’un édile peu scrupuleux sur l’usage des deniers publics. Ses frais de carburant étaient trois à quatre fois supérieurs à ceux des communes comparables alentour. La consommation constatée était d’ailleurs étrange : des pleins de carburants différents étaient déclarés pour la même date, parfois dans le même quart d’heure !
En réalité, plusieurs des véhicules de la mairie se rendaient jusqu’aux circuits automobiles de Magny-Cours (à plus de 650 km de Roquebrune-sur-Argens) ou du Mans (à près de 1000 km). Pas pour concourir sous les couleurs de la ville, bien sûr, simplement pour assister aux compétitions. D’ailleurs, c’était non pas le maire lui-même qui allait assister à des courses, mais… ses fils.
Plus humblement, les voitures de fonction de la Ville servaient aussi à Luc Jousse à visiter ses différentes résidence secondaires.
Même pour des faits aussi graves, la reconnaissance de la culpabilité du maire a été un véritable parcours du combattant. L’accès aux comptes a été refusé au départ aux citoyens, et ce n’est qu’en raison de l’endettement important de la commune qu’un contrôle de la chambre régionale des comptes a eu lieu, le rapport en résultant ayant donné lieu à une enquête préliminaire par le procureur de la République, puis au procès, où l’ACCR a pu se constituer partie civile, une première pour des contribuables.
Si la condamnation d’un maire à la suite d’une plainte de contribuables constitue une victoire symbolique, cette affaire met aussi en lumière le problème des élus qui, mis en cause dans le cadre de leurs fonctions mais pour des cas d’enrichissement personnel, font payer leurs frais de justice par les contribuables, tandis que ces mêmes contribuables, eux, doivent payer de leur poche.
Josette Mimouni, la présidente de l’ACCR, ironise en disant qu’il s’agit d’une « double peine ». Cette situation est d’autant plus frappante qu’il n’y a pas eu qu’un seul procès dans cette commune de 12 000 habitants. Si le maire Jousse n’a été mis en cause – et condamné – qu’une fois, il a intenté pas moins de trois procès pour « injure publique » (la dénonciation des abus) à Josette Mimouni afin de la faire plier financièrement. Si la présidente a été relaxée une fois, il lui reste encore à comparaître à deux reprises, avec à chaque fois des frais d’avocat à payer, en plus de ceux du maire qu’elle paie indirectement par ses impôts.
Cette asymétrie est aussi liée à la capacité du maire à se maintenir aux affaires d’élection en élection. Élu pour la première fois en 2001, Luc Jousse a été réélu en 2008, puis en 2014. Ses pratiques étant connues depuis 2011, comment a-t-il pu être réélu l’année-même où il allait être condamné en justice ? À quelques mois près, le procès aurait pu avoir lieu avant l’élection.